SCÈNE PREMIÈRE. Don Félix, Mendoce.
MENDOCE.
À la fin nous voici, Monsieur, dans Yllescas.
DON FELIX.
Ô lieu pour moi funeste ! Hélas, Mendoce, hélas !
Ne me demande point le sujet qui m'amène ;
Si tu savais mon mal, si tu savais ma peine,
Tu me confesserais qu'en de tels déplaisirs
C'est peu que d'exhaler sa douleur en soupirs.
MENDOCE.
Je ne sais quel malheur vous avez lieu de craindre,
Vous ne songiez rien moins ce matin qu'à vous plaindre,
Ce coeur d'aucun souci ne paraissait chargé.
Et presque en un moment vous voilà tout changé.
Je vous trouve rêveur, inquiet, las de vivre,
Vous montez à cheval, et vous me faites suivre,
Nous marchons sans parler tout le long du chemin
Chez l'Hôte d'Yllescas nous arrivons enfin,
Et sans dire le mal dont votre âme est atteinte,
Vous redonnez encor de nouveau sur la plainte.
Quel est le sujet ? Tirez-moi de souci.
DON FELIX.
Que te dirai-je ? Hélas ! Je viens mourir ici,
Et rendre témoignage à la Beauté que j'aime,
Que comme sa rigueur mon amour est extrême.
MENDOCE.
Vous n'en mourrez donc pas puisqu'il s'agit d'amour.
C'est un mal qui commence, et finit en un jour
DON FELIX.
Pour en guérir sitôt la cause en est trop belle.
Depuis combien de temps adorai-je Isabelle
Sans que jamais refus, ni mépris, ni froideur,
Du feu qui me dévore ait modéré l'ardeur ?
Cependant, ô disgrâce à qui raison cède
Don Garcie aujourd'hui la marie à Tolède,
Don Bertran son époux l'attend ici ce soir,
Toute prête à partir on me l'a fait savoir,
Et je viens empêcher, ou par force, ou par ruse,
Qu'un autre n'ait un bien qu'à ma flamme on refuse.
MENDOCE.
Sans venir vous montrer de son bonheur jaloux,
Vous eussiez bien mieux fait de demeurer chez vous.
Puisque tout est d'accord, que pouvez-vous prétendre ?
DON FELIX.
L'espoir est si charmant qu'on ne s'en peut défendre.
Malgré de mon destin l'impitoyable loi
J'espère en Isabelle, en Don Bertran, en moi.
Je sais que son bien seul le rend recommandable,
Et qu'il sert à chacun de risée et de fable.
Il est brutal, bizarre, et peut-être à le voir,
Isabelle oubliera ce trop cruel devoir,
Dont l'âpre austérité la force en dépit d'elle
De courir en aveugle où sa rigueur l'appelle.
Je parlerai, Mendoce, et ce peu que je vaux
Se fera mieux connaître auprès tant de défauts,
Il pourra m'acquérir le coeur de mon ingrate,
Et faire réussir l'espoir dont je me flatte.
Que si trop de vertu l'oblige à se trahir
Jusqu'à vouloir me perdre en voulant obéir,
Comme ce Don Bertran n'agit que par caprice,
J'empêcherai par lui que l'Hymen s'accomplisse,
Et le faisant entrer en doute de sa foi,
Je saurai travailler et pour elle et pour moi.
L'artifice en amour fut toujours légitime ;
Feindre d'en être aimé n'est pas faire un grand crime,
Et peut-être par là mon Jaloux alarmé
Me cédera l'objet dont mon coeur est charmé,
Et sur un tel soupçon l'âme toute incertaine...
MENDOCE.
On se plaint, écoutez.
SCÈNE IV. Don Garcie, Don Bertran, Don Alvar, Don Félix, Isabelle, masquée, Léonor, Jacinte, Guzman, Mendoce.
JACINTE.
Quelle figure d'homme !
ISABELLE.
Ô le vilain époux !
Est-il rien de plus laid ?
DON BERTRAN.
Beau-père, approchez-vous.
À Don Alvar.
À mes ordres ainsi vous êtes réfractaire,
Et vous m'avez enfin amené le beau-père.
DON GARCIE.
Je viens vous témoigner qu'en vain...
DON BERTRAN.
Sans compliment,
Oyez un mot ici.
JACINTE, à Isabelle regardant Léonor.
C'est elle assurément,
C'est cette blonde soeur de Don Alvar éprise.
Mais voyez, Don Félix...
ISABELLE.
Ô Ciel, quelle surprise ?
Que Don Félix ainsi vienne mal à propos
Jusqu'ici me déplaire, et troubler mon repos !
DON FELIX.
Mendoce, elle me voit.
DON GARCIE, à Don Bertran.
C'est une affaire faite,
Sa volonté se borne à ce que je souhaite.
DON BERTRAN.
Je puis donc lui parler ainsi qu'il me plaira ?
DON GARCIE.
Sans doute.
DON BERTRAN.
Et mon discours...
DON GARCIE.
Soudain la charmera.
DON BERTRAN.
Je m'en vais l'aborder. Ah, Madame Isabelle,
Ou bien vous êtres laide, ou bien vous êtes belle.
Or si vous êtes laide, il vous faut sur ma foi
Ne montrer vos laideurs à personne qu'à moi ;
Et si vous êtes belle à bon droit j'appréhende,
Car la fragilité du sexe est assez grande.
Ainsi soit belle ou laide, et dût-on s'en moquer,
C'est fort bien avisé que vous faire masquer.
ISABELLE.
L'impertinent discours! Quelle réponse y faire ?
JACINTE.
Songez-y toutefois, il l'attend.
DON BERTRAN.
Ho, Beau-père,
Elle ne répond point, qui l'en peut empêcher ?
DON GARCIE.
Contre la modestie elle craint de pécher.
DON BERTRAN.
Sur le point de se voir richement mariée,
L'aise la tient ainsi sans doute extasiée ?
DON GARCIE.
Parler bien à propos est fort rare aujourd'hui.
DON BERTRAN.
Il est vrai, par soi-même on juge mal d'autrui.
C'est donc qu'elle n'a pas en main la répartie ?
DON GARCIE.
Je vous ai déjà dit que c'est par modestie.
DON BERTRAN.
Vous tairez-vous toujours, Objet, ma passion ?
ISABELLE.
Le silence est l'effet de l'admiration,
Et vos rares vertus qui font que je soupire
M'étonnent tellement que je ne sais que dire.
Leur éclat a surpris mon coeur au dépourvu,
Et si sans vous connaître et sans vous avoir vu,
Les compliments civils dont votre lettre est pleine
M'ont interdit les sens, et mis l'âme à la gêne ;
Jugez si je les puis aisément rappeler,
En vous voyant vous-même et vous oyant parler.
DON ALVAR, à Guzman.
Il ne s'aperçoit pas qu'on le raille.
DON BERTRAN.
Ah galante !
Plus matoise que vous n'est pas trop innocente,
Et bien, que dites-vous de ce discours adroit,
Ma Soeur ?
LÉONOR.
Qu'elle répond comme une autre ferait.
DON BERTRAN.
Et mon Cousin ?
DON ALVAR.
Qu'il faut que toute autre lui cède,
Et qu'elle a trop d'esprit pour ne pas être laide.
DON FELIX, bas.
J'éprouve le contraire, hélas, à mes dépens.
LÉONOR.
Faites-la démasquer, mon Frère, il en est temps.
DON BERTRAN.
Oui, ça, voyons un peu qu'elle est votre figure,
Note: Regardure : Vieux mot. Action de regarder. Regard, aspect. [T]Et si vous n'êtes point de laide regardure ?
ISABELLE, se démasquant.
C'est à moi d'obéir puisque vous l'ordonnez.
DON ALVAR.
Que vois-je ? Hélas ! Guzman.
GUZMAN.
Quoi donc, vous en tenez ?
DON FELIX, à Mendoce.
À la voir seulement que mon âme est ravie !
DON ALVAR.
C'est celle que j'adore, et qui me doit la vie.
Je suis perdu, Guzman, si l'hymen s'accomplit.
JACINTE, à Isabelle.
L'on vous a reconnue, et Don Alvar pâlit.
DON BERTRAN.
Ma foi, je ne sais pas quel en fut l'exemplaire,
Mais vous avez bien là réussi, mon Beau-père.
DON GARCIE.
Ce qu'elle a de beauté pour le moins est sans fard.
DON BERTRAN.
Note: Mignardement : D'une maniere mignarde. Cet Orfèvre travaille fort mignardement en petits ouvrages. (...) [F]Note: Hagard : Qui a quelque chose de rude, de menaçant, de furieux, il ne se dit au propre que du visage, des yeux, de la mine [F].Elle a l'oeil à mon gré mignardement hagard ;
Et si jamais en vers je dois peindre une Belle,
Allez, je pourrai bien prendre patron sur elle.
ISABELLE ? à Jacinte.
As-tu jamais ouï discours plus ennuyeux !
JACINTE.
Écoutez, Don Alvar, il vous parle des yeux.
DON BERTRAN, à Don Alvar.
Est-elle laide ? Et bien, le croyez-vous encore ?
DON ALVAR.
Elle est incomparable, et digne qu'on l'adore.
DON BERTRAN, à Isabelle.
Oyez-vous ce qu'il dit ?
ISABELLE.
Don Alvar est flatteur.
DON ALVAR, bas.
Tu m'avouerais que non si tu voyais mon coeur.
DON BERTRAN.
Vous me semblez parfaite autant que les parfaites,
Vous avez les yeux doux, les paupières bien faites,
Qui ne vous aimerait, je le tiendrais pour sot.
Note: Remasquer : Remettre son masque. Cette Dame s'est demasquée un moment, mais elle s'est remasquée aussitôt (...) [F]Ma foi, remasquez-vous, ou je ne dirai mot,
Visage découvert, je n'en sais par où prendre.
ISABELLE.
Votre entretien est tel que je n'ose y prétendre ;
Cessez de profaner un discours si poli.
DON BERTRAN, à Don Garcie.
Vous l'avez bien instruite, elle a l'esprit joli ;
Son humeur toutefois me semble un peu rêveuse.
Mon Cousin, contez-lui quelque histoire amoureuse,
Mais qui soit intriguée, et pleine d'incidents.
À Isabelle se touchant le front avec la main.
Vous verrez quel esprit s'enferme là-dedans,
J'en saurai dès demain en faire une Comédie,
Que pour gage d'amour déjà je vous dédie.
Vous divertiriez-vous à l'ouïr ?
ISABELLE.
Je le crois.
DON BERTRAN.
Dites donc.
DON ALVAR.
Je commence. Amour, seconde-moi.
En un jour de Taureaux, hors Madrid, dans la plaine,
Un Cavalier suivait une route incertaine,
Lorsqu'un digne spectacle ayant frappé ses yeux
Réveilla tout à coup son esprit curieux.
Une Dame, en sa taille à nulle autre seconde,
Semblait pour être seule avoir fui tout le monde,
Et loin des yeux publics venir rêver exprès
Où le courant du Fleuve offre un aimable frais.
Il s'arrête, et de loin surpris il examine
Quel dessein peut avoir cette Beauté divine,
Qu'à son port il croit telle, et digne de l'ardeur
Dont peut un bel objet enflammer un grand coeur.
Mais dans cette surprise il ne demeura guères
Qu'un fier Taureau s'échappe, et force les barrières,
Et de cette Inconnue eût terminé les jours,
S'il n'eût été du Ciel conduit à son secours.
Il s'avance, il s'écrie, et voit avecque joie
Que toute sa fureur sur lui seul se déploie.
Avec un peu d'adresse il évite d'abord
Dans sa première rage une infaillible mort,
Tant que prenant son temps enfin il sait l'abattre ;
Et le met d'un seul coup hors d'état de combattre.
Quelle pouvait alors être cette Beauté
Qui se croyait encor à peine en sûreté !
Il la voit toute pâle, et son charmant visage
Cacher tous ses attraits sous un petit nuage,
Mais s'étant rassurée au succès du combat,
Cette même pâleur en rehaussa l'éclat,
Avec qui la pudeur faisant un doux mélange
Aux yeux du Cavalier la fit paraître un Ange.
Mais quels charmes nouveaux et quels ravissements
Quand son esprit parut dans ses remerciements !
Avecque tant de grâce elle se plaît à dire
Qu'elle tient de lui seul le jour qu'elle respire,
Que charmé d'un esprit et si prompt et si vif,
De son libérateur il devient son captif ;
Dans ses yeux aussitôt sa passion éclate.
En ce point toutefois elle se montre ingrate,
Qu'osant de sa vertu former quelque soupçon
Elle reste obstinée à lui cacher son nom.
D'ingratitude en vain son reproche l'accuse,
Une raison secrète est toute son excuse,
Se découvrir à lui c'est se mettre en danger,
Et s'il la veut enfin pleinement obliger,
Il faut qu'il se résolve à taire sa victoire,
Et qu'il n'en cherche point d'autre fruit que la gloire.
Il s'engage au secret, il en donne sa foi,
Et de cette parole il se fait une loi.
Enfin elle le quitte, et joint une autre Dame,
Sans donner plus d'espoir à sa nouvelle flamme.
Il les voit tout confus d'un regard curieux,
En s'éloignant de lui, jeter sur lui les yeux,
Il se donne à les suivre une peine inutile,
Entrant dans un carrosse elles gagnent la ville,
Ou pendant quelque jour il tâche à découvrir
Quel est ce cher Objet qu'il a su secourir.
Cependant un Ami, marié par promesse,
L'engage d'aller voir avec lui sa Maîtresse ;
Mais quel sensible coup à son coeur enflammé,
Lorsqu'en elle il connaît l'Objet qui l'a charmé,
Qu'il voit un autre heureux, et qu'enfin on s'apprête
À l'enrichir bientôt de sa propre conquête !
Il soupire, il lui parle, et devant son Rival,
Sans qu'il s'en aperçoive, il lui conte son mal.
Elle en paraît surprise, il l'attendrit sans doute,
Avec émotion il voit qu'elle l'écoute,
Mais sa seule espérance est dans le désespoir,
Puisqu'elle s'abandonne à son triste devoir.
Au récit du malheur dont le destin l'accable.
Jugez s'il fut jamais amant plus déplorable.
ISABELLE.
Je plains fort l'un et l'autre, et doute qui des deux
Note: Recontre : En quelque sens qu'on emploie rencontre, il est toujours féminin, et les bons auteurs n'en usent jamais autrement ; néanmoins en matière de querelle, plusieurs le font masculin, et disent, ce n'est pas un duel, ce n'est qu'un rencontre ; mais le meilleur est de le faire féminin. (Féraud Grammatical) En ce triste rencontre est le plus malheureux.
Un bienfait peut beaucoup sur un noble courage,
Peignant un grand mérite en secret il engage,
C'est un fidèle agent qui parle nuit et jour,
Dans la reconnaissance il entre un peu d'amour,
Sa flamme sous ce masque aisément se déguise,
L'on court même au-devant de sa douce surprise ;
Tant il est difficile, après un tel bonheur,
De donner son estime, et de garder son coeur.
De cette Dame ainsi le malheur est extrême,
Car enfin elle perd ce que sans doute elle aime,
Et pour comble de maux, dans son affliction
On la livre à l'objet de son aversion.
DON ALVAR.
Que dites-vous, Madame ? Ah, s'il osait le croire,
Qu'en un si grand malheur il trouverait de gloire !
ISABELLE.
Si par un si grand service il l'a su mériter,
Sans l'en juger indigne, il n'en saurait douter.
DON ALVAR.
Vous trouvez cependant qu'ils sont tous deux à plaindre ?
ISABELLE.
C'est ne l'être pas peu qu'être réduits à feindre.
DON ALVAR.
Si d'un pareil malheur vous ressentiez les coups,
Contre ou pour cet Amant que résoudriez-vous ?
ISABELLE.
Que résoudrais-je, hélas ! Pour le prix de sa flamme
Il aurait mes soupirs au défaut de mon âme,
Et s'il m'était permis de disposer de moi...
DON ALVAR.
Qu'obtiendrait-il, Madame ?
ISABELLE.
Et mon coeur, et ma foi.
DON ALVAR.
Ce serait le combler d'une joie infinie
Que...
ISABELLE.
Tout doux, mon Cousin, et sans cérémonie,
Vous vous émancipez ; un peu plus bas d'un ton.
Diable, quelle Commère ! Elle entend le jargon !
ISABELLE.
J'ai fait cette réponse avec grande innocence.
DON BERTRAN.
Holà, vous en saurez bien d'autres, que je pense.
Rêvez si vous voulez, mais je me trompe bien
Si pour vous égayer il vous conte plus rien.
DON ALVAR.
Vous m'aviez demandé quelque histoire amoureuse.
DON BERTRAN.
Vous êtes un causeur, elle est une causeuse.
Mais, ma foi, je la veux un peu dépayser,
Et voir si dans Tolède on l'entendra jaser,
Moi présent, son époux. Oyez, les belles filles,
Il faut de grand matin demain trousser ses quilles,
Peut-être avant le jour, car j'ai hâte, et je veux
Sur mon propre fumier faire un peu l'amoureux ;
La station m'en semble et moins chère et meilleure.
DON GARCIE.
Vous n'avez pour partir qu'à nous donner votre heure.
DON BERTRAN.
Celle qu'il me plaira ; chacun peut sur un lit
Se tenir toujours prêt sans quitter son habit.
Qui ne le sera point restera pour les gages.
DON FELIX, à Don Bertran.
Je prends si grande part à tous vos avantages,
Que demain avec vous, pour en être témoin,
J'irai jusqu'à Tolède.
DON BERTRAN.
Il n'en est pas besoin,
Je sais bien le chemin.
DON FELIX.
Mais...
DON BERTRAN.
Mais, ne vous déplaise.
DON FELIX.
Je vous honore assez...
DON BERTRAN.
Et bien j'en suis fort aise.
DON FELIX.
Vous pourriez aujourd'hui me refuser ce point,
À moi qui...
DON BERTRAN.
À vous qui, je ne vous connais point.
DON FELIX.
J'étais fort grand Ami de Monsieur votre Père,
Il m'estimait beaucoup.
DON BERTRAN.
Je n'y saurais que faire,
Il pria qui lui plût quand il se maria,
Mais de son temps au mien grand changement y a.
Pourvoyez-vous ailleurs.
DON FELIX.
Quelle étrange saillie !
MENDOCE.
Je l'envoierais au diable avecque sa folie.
DON FELIX.
Adieu, ne craignez point que je suive vos pas.
DON BERTRAN.
Ne me voyez jamais, je n'en pleurerai pas.
SCÈNE VI. Don Alvar, Guzman.
DON ALVAR.
Jamais fou plus avant poussa-t-il sa folie ?
GUZMAN.
S'il n'amende bientôt il faudra qu'on le lie.
Mais tantôt à vous voir j'ai resté tout confus,
Vous soupiriez ?
DON ALVAR.
Hélas ! Ne t'en étonne plus,
Je meurs pour Isabelle, et mon âme asservie...
GUZMAN.
Vous m'avez déjà dit qu'elle vous doit la vie,
Et je devine trop que cet événement...
DON ALVAR.
Est la source des maux que je souffre en aimant :
J'ai rencontré la mort dans mon champ de victoire,
Et j'en viens d'en conter la pitoyable histoire.
Que si jusqu'ici je t'en ai fait secret,
On m'en avait prié, Guzman, je suis discret.
GUZMAN.
Je crois, si Don Bertran savait ce qui se passe,
Qu'il vous en pourrait faire assez laide grimace,
Et que Léonor même, en ayant quelque vent,
S'en évanouirait encore plus souvent ;
Car elle vous en veut, Monsieur.
DON ALVAR.
La digne Amante !
GUZMAN.
Elle vous est, je pense, assez indifférente ?
DON ALVAR.
Si pesante de corps, et l'esprit si léger,
Soeur d'un Frère si fou, qui s'en voudrait charger ?
Mais elle te parlait tantôt ?
GUZMAN.
Oui, pour me dire
Qu'elle veut cette nuit vous conter son martyre ;
Qu'elle ne fermera sa porte qu'à demi,
Et que quand vous croirez Don Bertran endormi
Vous alliez la trouver, elle vous fera fête,
N'y manquez pas.
DON ALVAR.
J'ai bien d'autres soucis en tête.
GUZMAN.
Quels ?
DON ALVAR.
J'aime.
GUZMAN.
Je le sais, qu'est-ce encor, qu'avez-vous ?
DON ALVAR.
Un mal beaucoup plus grand, Guzman, je suis jaloux.
GUZMAN.
Déjà ?
DON ALVAR.
Ce cavalier me donne de l'ombrage
Qui voulait avec nous achever le voyage.
Il ne s'est point ici rencontré sans dessein,
Sans doute un même feu nous échauffe le sein,
Isabelle le charme, il la suit, et peut-être
Il a gagné son coeur, il s'en est rendu maître.
Guzman, s'il est ainsi, ma flamme a peu d'espoir.
GUZMAN.
Il n'est pas malaisé, Monsieur, de le savoir.
Il a certain Valet que je crois fort capable
De faire d'un secret confidence amiable ;
Je lui saurai ce soir tâter le pouls de près.
DON ALVAR.
Parle donc, et de tout nous résoudrons après.