PERSONNAGES
- CARLOS
- CLARINE
- FABRICE
- CLIMÈNE
- JACINTE
- FERDINAND
- VALÈRE
- ISABELLE
- ALPHONSE
- LICASTE
- CELIN
- GARDES
Le scène de Ferrare.
ACTE I
SCÈNE PREMIÈRE. Carlos, Clarine, dans une rue.
CARLOS.
La sais-tu bien Clarine ? Ô Ciel ! Est-il possible
Qu'Isabelle pour moi cesse d'être insensible ,
Et que cette Beauté ressente en ma faveur
Le feu que ses beaux yeux ont fait naître en mon cour ?
CLARINE.
Je vous le dis encore; oui, votre amour la touche ;
C'est une vérité que j'ai su de sa bouche.
CARLOS.
Je suis fort étonné d'un succès si charmant.
CLARINE.
Moi, je m'étonne fort de votre étonnement.
Seigneur, à vos plaisirs ne mettez point d'obstacle ;
Voir changer une fille, est-ce un si grand miracle ?
Nous avons une pente à changer, tour-à-tour.
Soit ou l'amour en haine, ou la haine en amour ;
Et lorsque notre haine, ou notre amour se change,
Un effet si commun doit peu sembler étrange :
Isabelle est d'un âge à ressentir l'effet
Et du feu qu'elle allume, et du mal qu'elle fait :
La fin de ses froideurs ne vous doit pas surprendre,
Qui donne de l'amour peut aisément en prendre,
Et lorsqu'un jeune cour n'a jamais rien aimé ,
Au premier feu qui brille il s'en trouve enflammé.
Ma maîtresse est sensible autant qu'elle est belle ;
Et vous serez heureux si vous êtes fidèle.
CARLOS.
Mais viens-tu par son ordre.
CLARINE.
À m'expliquer sans fard
Elle m'a commandé de parler de ma part ;
Mais votre honnêteté m'oblige à vous tout dire,
C'est par son ordre exprès que je viens vous instruire
Je vous ai découvert un important secret
Mais, pour en profiter, il faut être discret :
Pour bien savoir aimer, il faut savoir se taire.
CARLOS.
Je pourrai dire, au moins, mon bonheur à son frère,
Notre amitié l'oblige à me favoriser.
Et je me ferais tort de lui rien déguiser.
CLARINE.
Ah ! C'est ce que surtout ma maîtresse redoute ?
Loin de l'en avertir, craignez qu'il ne s'en doute !
Ignorez-vous encor que son père inhumain
Ne lui permettra pas de vous donner la main :
Qu'il veut, pour soutenir l'éclat de sa famille
Favoriser son fils aux dépens de sa fille,
Et, comme il se pratique aujourd'hui fort souvent,
Destine à l'un ses biens, et pour l'autre un couvent.
CARLOS.
Je sais qu'à ce dessein son père se prépare ;
Mais s'il est inhumain, son frère eu moins barbares
L'amitié nous unit par de si beaux liens,
Que dans mes intérêts il confondra les siens.
CLARINE.
Sachez, si j'ose ici parler avec franchise,
Qu'il n'est point de liens que l'intérêt ne brise ;
Que l'on garde toujours son bien mieux que sa foi,
Et qu'il n'est point d'ami qu'on aime plus que soi :
Ne recevez personne en votre confidence,
Le péril suit toujours le trop de confiance :
Moins un bien est connu, plus il doit être doux ;
Enfin, que vos secrets ne soient sus que de vous,
Ma maîtresse le veut.
CARLOS.
Ah ! C'est assez Clarine
Il n'est plus de raison qu'à présent j'examine,
Il faut que j'obéisse avec aveuglement,
Et que le nom d'ami cède à celui d'amant ;
Mais verrai-je ce soir notre belle maîtresse.
CLARINE.
Monsieur, il est bien tard.
CARLOS.
Je connais ton adresse,
Et tu sais...
CLARINE.
Oui ; je sais vos libéralités,
Je m'en vais l'avertir, comme vous souhaitez.
Et je viendrai bientôt, si vous voulez m'attendre,
Ou vous faire monter, ou la faire descendre.
CARLOS.
Qu'il est doux d'attendrir un cour fier et cruel !
Que l'amour est charmant, quand il est mutuel,
Et qu'un captif ressent de charmes dans ses peines,
Quand la main qui le dompte aide à porter les chaînes :
Un bien acquis sans peine est peu délicieux ;
Et plus il a coûté, plus il est précieux :
Malgré l'obscurité dont l'horizon se couvre,
Je discerne aisément que cette porte s'ouvre,
C'est sans doute Isabelle, il se faut avancer.
SCÈNE II. Carlos, Fabrice.
CARLOS.
Mon bonheur est plus grand que je n'osais penser,
Je ne puis vous marquer , quelque effort que j'emploie.
Toute ma passion avec toute ma joie.
FABRICE.
De grâce, cher ami, laissons les compliments,
Je suis persuadé de tes bons sentiments.
CARLOS, à part.
Dieu ! Que je suis confus ! C'est son frère Fabrice.
FABRICE.
Tu sais donc à quel point le destin m'est propice,
Mon hymen est conclu ; l'on vient de l'arrêter,
Et sans doute, tu viens pour m'en féliciter.
CARLOS.
Ami...
FABRICE.
Je suis certain que c'est ce qui t'amène.
CARLOS, à part.
Qu'il est ingénieux à me tirer de peine.
FABRICE.
Tu viens pour prendre part à mon ravissement.
CARLOS.
Tu me ferais grand tort d'en juger autrement.
FABRICE.
Apprends que nos désirs étaient d'intelligence :
J'allais pour t'en porter l'avis en diligence,
J'ai cru que mon bonheur ne t'était pas connu,
Et je n'attendais pas de me voir prévenu.
À ta rare amitié je suis trop redevable.
CARLOS.
Je ne sais rien pour toi qui soit considérable,
Mon intérêt m'amène en ce lieu seulement,
Et tu ne m'en dois faire aucun remerciement.
FABRICE.
Comment ! Quel intérêt en ce lieu t'a fait rendre ?
CARLOS.
Celui qu'en tes plaisirs l'amitié me fait prendre ;
Entre deux vrais amis tout doit être commun,
La joie en touche deux alors qu'elle en touche un :
Sache, quand je prend part dans ton bonheur extrême,
Qu'au lieu de t'obliger, je m'oblige moi-même,
Et du soin que je prend je suis si bine payé,
Que je n'ai pas besoin d'être remercié.
FABRICE.
Sache aussi quand le sort me fait quelque avantage,
Que Carlos le redouble, alors qu'il le partage,
Et qu'il diminuerait si tu n'y prenais part,
Mais de notre maison qui peut sortir si tard ?
SCÈNE III. Clarine, Fabrice, Carlos.
CLARINE, s'adressant à Fabrice, croyant parler à Carlos.
Entrez, entrez, Seigneur, ma maîtresse Isabelle
Vous attend en sa chambre, et veut...
FABRICE.
Quoi, Que veut-elle ?
CLARINE, à part.
Ô malheur ! C'est Fabrice ! Il faut dissimuler.
FABRICE.
Que veut-elle ? Achevez.
CLARINE.
Elle veut vous parler
Et vous marquer la joie où l'amitié l'engage
Sur la conclusion de votre mariage.
FABRICE.
Je connais sa tendresse, et je sais mon devoir;
Je vais, avec Carlos, lui donner le bonsoir.
SCÈNE IV. Climène, Jacinte, Carlos, Fabrice.
CLIMÈNE, sortant de son logis.
Cette voix que j'entends est celle de Fabrice,
Je ne pouvais sortir dans un temps plus propice.
CARLOS.
J'y consens de bon cour : allons-y de ce pas,
Tes désirs sont les miens ; tu dois n'en douter pas.
FABRICE.
Entrons...
CARLOS, à part.
Que ce succès favorise ma flamme.
FABRICE, arrêté par Climène.
Mais, qui vient m'arrêter ? Ô Ciel c'est une femme,
C'est à moi qu'elle en veut, demeure.
CARLOS.
Je t'attends,
À part.
Voici, pour mon amour, un nouveau contre-temps.
FABRICE.
D'où vient qu'elle s'éloigne, avant que je m'avance.
CARLOS.
Elle te veut parler, sans doute, en confidence.
FABRICE.
Dans l'espoir que c'est moi que vous venez chercher,
Ne vous offensez pas, si j'ose m'approcher.
J'ai le cour assez bon, et l'âme assez civile
Pour m'estimer heureux, si je vous suis utile.
Pour m'engager, Madame, à l'offre que je sais
D'employer tous mes soins au gré de vos souhaits.
Il faut que du Ciel vous ayez l'avantage
D'être de ce beau sexe à qui tout doit hommage.
Si je puis, toutefois sans importunité
Apprendre votre nom, et votre qualité,
Vous accroîtrez mon zèle, en me tirant de peine/
CLIMÈNE.
Sors d'erreur, cher Fabrice, et reconnais Climène.
FABRICE.
Climène, ma maîtresse ! Est-il croyable ? Ô Cieux !
Quel sort t'a pu conduire à telle heure en ces lieux,
Tu redoubles ma crainte et mon inquiétude,
Plus ta voix m'éclaircit, plus j'ai d'incertitude,
Loin de sortir d'erreur, j'entre en de nouveaux soins,
Et j'étais plus heureux, lorsque j'en savais moins ;
Quel dessein est le tien ? Je ne le puis comprendre !
CLIMÈNE.
Laisse-moi donc parler ; je m'en vais te t'apprendre.
Je ne te dirai point combien dans un moment
L'on m'a donné de joie et de ravissement,
Lorsqu'on m'a fait savoir que dans cette journée
Note: Hyménée : divinité fabuleuse des païens, qu'ils croient présider aux mariage. (...) signifie aussi poétiquement le mariage. [F]Nos parents ont enfin conclu notre hyménée.
Mon amour dont tu dois garder le souvenir,
Doit m'exempter du soin de t'en entretenir,
Et m'oblige à te faire un récit véritable
Beaucoup plus important et bien moins agréable.
FABRICE.
Quoi, qui peut maintenant troubler notre heureux sort,
Lorsque ainsi que nos cours nos parents sont d'accord.
CLIMÈNE.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'Amour s'accoutume
À mêler ses douceurs de beaucoup d'amertume,
Ceux qu'il flatte d'abord sont heureux rarement,
Sa malice est égale à son aveuglement,
Et, comme la Fortune, il a pris l'habitude
De n'avoir de certain que son incertitude :
C'est une vérité qu'en cet événement,
Tu ne vas concevoir que trop sensiblement :
Un jour, le plus funeste entre ceux de ma vie,
Où mon père accablé d'âge et de maladie,
Reçut le triste honneur de te voir visité
Par le Duc de Ferrare, en cette extrémité,
Ce Prince me connut, et crut voir quelques charmes
Sur mon visage pâle et tout couvert de larmes,
Mes yeux plurent aux siens, pour nos communs malheurs,
Et sa flamme naquit des sources de mes pleurs.
FABRICE.
Ah ! Climène, je crains...
CLIMÈNE.
Cette crainte m'offense,
Mon âme, toute entière, était en ta puissance,
Je te l'avais donnée, et cette passion
N'a jamais excité que mon aversion :
Si j'ai caché ce feu, tu ne dois point t'en plaindre,
Avant qu'il fut connu, j'espérais de l'éteindre,
Et j'aurais peine encore à te le révéler,
Si ton propre intérêt ne me faisait parler :
Sur le bruit qui s'épand de notre mariage,
La passion du Duc s'est convertie en rage,
Il m'est venu trouver dans son premier transport,
M'a juré que mon choix est l'arrêt de ta mort,
Que l'amour l'empêchant de me punir moi-même,
Qu'il croira faire plus en perdant ce que j'aime,
Et que pour me punir avec plus de rigueur,
Il ira me chercher jusqu'au fond de ton cour ;
Enfin , connaissant bien que son unique envie
Est d'attaquer mes jours en attaquant ta vie,
Conduite par l'amour, et plus par la terreur,
Je viens te conjurer d'éviter sa fureur ;
Fuis d'ici, quelque soin pour moi qui t'y retienne,
Et pour sauver ma vie, enfin, sauve la tienne.
FABRICE.
Ce discours est cruel, autant qu'il paraît doux,
Quoi vous me conseillez de m'éloigner de vous,
Je saurais mal aimer si je pouvais m'en taire :
Dites tout, avouez que votre amour s'altère,
Que mon reste d'espoir se doit évanouir,
Et que les feux du Duc ont su vous éblouir ;
Je vois bien que ma flamme ici vous importune,
Que vous quittez l'amour pour suivre la fortune,
Et qu'avec tous ses fers Fabrice infortuné
Plaît moins à vos beaux yeux qu'un captif couronné ;
Je n'accuserai point cette rigueur insigne,
Vous me privez d'un bien dont je n'étais pas digne,
Et recevant un sceptre offert à vos beautés,
Vous obtenez bien moins que vous ne méritez !
Régnez ; rien n'est honteux pour prendre un diadème ;
Et comme je vous aime encor plus que moi-même,
Je tiendrai dans ma mort, mon destin assez beau,
Si je vous laisse au trône, en entrant au tombeau.
CLIMÈNE.
Peux-tu m'aimer Fabrice, et le pourrai-je croire,
Quand tu ne me crois pas digne de cette gloire,
Et quand, par des soupçons que tu devrais bannir,
De mon fidèle amour tu perds le souvenir.
Peux-tu bien ignorer, avec quelque justice,
Que j'aime beaucoup moins un sceptre que Fabrice,
Et trouve plus de joie, en partageant tes fers,
À régner sur ton cour, qu'à régir l'Univers.
FABRICE.
Ah ! Climène il suffit, mon âme qui t'adore,
Quand tu l'abuserais te voudrait croire encore,
Et quoi que le mensonge ait de noir et de bas,
En sortant de ta bouche, il aurait des appas ;
Mais d'où vient, quand pour moi tu fuis une couronne,
Que tu veux que je parte, et que je t'abandonne ?
Quoi ! Je te laisserais au pouvoir d'un rival,
Non, ce cruel remède eu pire que le mal :
Souffre mon désespoir, ou souffre ma présence,
Qu'importe qui me tue, ou le Duc, ou l'absence.
CLIMÈNE.
Il faut de deux périls songer au plus pressant,
Ici ta perte est sûre, et tu peux vivre absent,
Songe gu'à quelque peine où notre amour te livre,
Tu ne saurais mourir sans m'empêcher de vivre,
Qu'avecque tes destins mes jours seront finis;
Qu'au cercueil, par la mort, nous serons réunis ;
Qu'où je ne te vois pas, je ne vois point de charmes,
Et si tu ne m'en crois, du moins, crois-en mes larmes.
FABRICE.
N'accrois point mes ennuis avecque tes douleurs,
Tout mon sang ne vaut pas le moindre de tes pleurs,
Et les maux dont je sens mon âme menacée
Sont déjà trop payés d'une larme versée.
CLIMÈNE.
Quitte ces vains discours, et consens à partir ?
FABRICE.
Hé bien ! Hé bien ! Climène, il y faut consentir.
CLIMÈNE.
J'ai lieu d'être affligée autant que satisfaite,
Je crains plus ton départ, que je ne le souhaite ;
Et je t'arrêterais, je t'en donne ma foi ,
Si je le pouvais faire et n'exposer que moi :
Séparons-nous : mais quoi, cette image funeste
Me dérobe déjà la force qui me reste.
Épargne-moi de grâce, en partant de ce lieu,
Le danger de mourir en te disant adieu.
FABRICE.
Climène ; elle me fuit : ô destin déplorable !
SCÈNE V. Carlos, Fabrice.
CARLOS.
Ami, console-toi.
FABRICE.
Je suis inconsolable,
Il saut mourir, Carlos, puisqu'il faut m'absenter.
CARLOS.
Tu seras plus heureux, si tu veux m'écouter,
Tu ne partiras point, et tu verras Climène,
Tous les jours sans péril, sans témoins et sans peine.
FABRICE.
Me vouloir abuser, c'est mal me secourir,
C'est irriter mon mal, et non pas le guérir,
On ne peut trouver l'art de me rendre invisible.
CARLOS.
Bien donc, crois que pour toi je ferai l'impossible,
Souffre que je te parle ; et dedans un moment
Tu perdras ta douleur et ton étonnement :
Tu sais depuis quel temps l'Italie affligée,
Entre deux factions se trouve partagée,
Dont en chaque cité les partisans mutins
Note: Gibelins : Partisans de la maison impériale de Souaben opposés aux Guelfes. [B]Note: Guelphes et Gibalins : Partis puissants qui divisèrent l'Allemegna et l'Italie au XII, XIII, et XIVème siècle. (...) En général les Gibelins étient partisans de la domination impériale [Germanique] et de la hiérarchie féodale ; les Guelfes, de la domination de l'Eglise et de l'indépendance nationale. [B]Se nomment hautement Guelphes et Gibelins ;
Souviens-toi que mon père, et celui de Climène
Prirent, pour ce sujet, une immortelle haine,
Et que, par leur crédit et leur condition
Chacun d'eux se rendit chef d'une faction :
Le Duc l'ayant appris, et redoutant l'issue
De cette inimitié, si fortement conçue,
Il les fit arrêter avec quelque raison,
Laissant à chacun d'eux son logis pour prison.
Mon père qui voyait sa prétention vaine,
Sachant que sa maison de l'autre était prochaine
Eut recours à l'adresse, et se crut tout permis
Pour perdre le plus grand de tous ses ennemis ;
Et lors, pour avancer en secret sa ruine,
Jusques sous son jardin fit creuser une mine ;
Déjà même elle était achevée à-peu-près,
Lorsqu'il tomba malade, et mourut tôt après :
Je fus, comme tu sais, par le droit de naissance,
Héritier de ses biens, et non de sa vengeance :
Et quand je haïrais Climène dans ce jour.
Je voudrais immoler ma haine à ton amour,
En ouvrant cette mine avec un peu d'adresse,
Tu peux, sans qu'on te voie, entrer chez ta maîtresse,
Et pour l'exécuter en toute sûreté
Nous ferons croire à tous que tu t'es absenté.
FABRICE.
Que ne te dois-je point ? Quelle reconnaissance...
CARLOS.
De tes remerciements mon amitié s'offense,
Je m'en vais chez le Duc faire ma cour exprès,
Pour savoir ses desseins touchant tes intérêts :
Entre dans mon logis.
FABRICE.
Ne te mets point en peine.
Je vais, de cet avis faire part à Climène ;
Mais qu'est-ce que j'entends ?
SCÈNE VI. Le Duc, Valère, Fabrice, Jacinte, Gardes.
LE DUC.
Faites ce que j'ai dit.
Valère frappe à la porte du logis de Climène.
FABRICE.
C'est le Duc, la fureur me rend tout interdit.
LE DUC.
Quelque horreur que Climène ait montré pour ma flamme,
Quelque reste d'espoir flette encore mon âme,
J'ai gagné la suivante, et le viens de savoir
Qu'elle veut m'introduire en s chambre ce soir,
On ouvre, est-ce Jacinte ?
JACINTE, sortant de chez Climène.
Oui ; tout nous est propice,
Ma maîtresse se trompe, et vous prend pour Fabrice,
Elle m'a commandé d'ouvrir sans différer,
Et son ordre m'excuse, en vous laissant entrer,
Ne perdez point de temps : mais je l'entends descendre,
Ne parlez pas ; sans doute, elle se va méprendre.
FABRICE.
Il faut nous éclaircir, approchons doucement.
SCÈNE VII. Le Duc, Climène, Fabrice, Jacinte, Valère, Gardes.
CLIMÈNE, s'adressant au Duc, et croyant parler à Fabrice.
Que peux-tu souhaiter ? Où viens-tu, cher amant.
FABRICE, à part.
Amant ! Qu'entends-je, ô Ciel ?
CLIMÈNE.
J'ai sujet de me plaindre,
À ma prière un soir ne peux-tu te contraindre,
Je t'accuse pourtant, et je veux présumer
Que l'on se contraint mal, quand on sait bien aimer,
Et ne veux pas nier que mon âme charmée
Ne peut se plaindre ici que d'être trop aimée.
FABRICE, à part.
Note: Enchanter : Ensorceler, user de magie, d'art diabolique, pour opérer quelque merveille qui arrête le cours de la nature. [F]Le puis-je croire, ô Ciel, suis-je point enchanté ?
CLIMÈNE.
Tu ne saurais douter de cette vérité,
Quand je veux m'irriter, je sens que je m'abuse,
Mon âme te défend quand ma bouche t'accuse.
LE DUC, à part.
Ô trop heureux Fabrice !
FABRICE, à part.
Ô trop heureux rival !
CLIMÈNE.
Tu connais mon amour.
FABRICE, à part.
Je le connaissais mal.
CLIMÈNE.
Quoi ! Tu ne réponds rien ; doutes-tu de ma flamme,
Crains-tu qu'un autre objet te chasse de mon âme ?
Quoi qu'il puisse arriver, sois certain que toujours
Mon amour et ma vie auront un même cours ;
Que de ne t'aimer plus je me trouve incapable.
LE DUC, à part.
Que je suis malheureux !
FABRICE, à part.
Que je suis misérable.
CLIMÈNE.
Qui t'oblige tout bas encore à murmurer;
Faut-il quelques serments pour mieux t'en assurer,
Si toujours mon amour ne fait toute ma gloire;
Si tu n'occupes seul mon cour et ma mémoire,
Que le...
FABRICE.
Ne jurez pas, âme ingrate et sans foi ;
Il n'en est pas besoin, perfide ! Je vous crois.
LE DUC.
Ton trépas, de bien près, suivra ton insolence.
À moi, Gardes.
FABRICE, en s'enfuyant.
En vain je ferais résistance.
LE DUC.
Qu'on le suive et qu'il meure.
Valère et les gardes vont après Fabrice.
JACINTE.
Hélas ! Je meurs d'effroi.
CLIMÈNE.
La force me défaut ; Jacinte soutiens-moi.
LE DUC.
Qu'il périsse ! Sa mort n'est que trop légitime,
Un mérite trop grand est souvent un grand crime ;
En perdant ce rival je puis tout acquérir,
Et s'il ne périt pas, mon espoir doit périr,
Sachons si le succès répond à mon envie.
SCÈNE VIII. Valère, Le Duc, Jacinte, Gardes.
VALÈRE.
Ah Seigneur ! C'en est fait, il est tombé sans vie,
En vain pour se défendre il a fait quelque effort,
De mille coups mortels il a reçu la mort,
Et de son corps sanglant, et couvert de blessures,
Son âme a pour s'enfuir trouvé mille ouvertures.
JACINTE, sortant du logis de Climène.
Ah ! Seigneur arrêtez.
LE DUC.
Tes soins sont superflus ;
Je suis vengé, Jacinte, et Fabrice n'est plus.
JACINTE.
N'entrez point au logis, si vous aimez Climène,
D'une grande faiblesse elle revient à peine.
LE DUC.
Le sang que j'ai versé lui coûtera des pleurs,
Entre je n'irai point accroître ses douleurs,
Je vais me retirer, vous, cependant, Valère,
Du trépas de Fabrice avertissez son père,
Et lui faites savoir que sa témérité
N'a reçu que le prix qu'elle avait mérité.
ACTE II
SCÈNE PREMIÈRE. Isabelle, Clarine, dans une chambre.
ISABELLE.
Qui vient d'entrer céans ?
CLARINE.
Madame, c'est Valère,
Qui de la part du Duc entretient votre père.
ISABELLE.
Quel sujet si pressant peut ici l'amener ?
CLARINE.
Pour vous le pouvoir dire, il faudrait deviner.
ISABELLE.
Un message à telle heure est chose assez nouvelle.
CLARINE.
C'est ce qui comme vous me tient fort en cervelle.
ISABELLE.
Attendons-en l'issue et changeons de propos.
CLARINE.
Vous voulez m'obliger à parler de Carlos,
Avouez-le, Madame.
ISABELLE.
Il faut que je t'avoue
Que j'ai quelque plaisir, quand j'entends qu'on le loue.
CLARINE.
J'aurais perdu le sens, si j'en disais du mal,
C'est un fort honnête-homme, il est fort libéral,
Il mérite beaucoup.
ISABELLE.
Mais de quelle manière
A-t-il su que pour lui mon humeur eu moins fière,
Et que mon cour enfin se dispose à l'aimer.
CLARINE.
Avecque des transports qu'on ne peut exprimer.
ISABELLE.
Surtout as-tu bien su lui dire avec adresse,
Qu'afin de le servir tu trahis ta maîtresse,
Et que tu l'avertis sans mon consentement ?
CLARINE.
Oui, je l'ai dit, Madame, et fort adroitement ;
Mais votre amour bizarre a droit de me surprendre,
Vous craignez qu'il le sache, et lui faites apprendre :
S'il en sait un peu moins, en serez-vous bien mieux ?
Les esprits des amants sont bien capricieux.
ISABELLE.
Bien que j'aime Carlos, soit raison, ou caprice,
Je crois me faire tort, quand je lui fais justice,
La pudeur, que le Ciel dans notre sexe a mis,
En matière d'amour ne se croit rien permis ;
Et, par certain pouvoir, que j'ignore moi-même,
Ne saurait, sans rougir, me laisser dire j'aime :
Il semble que nos yeux, faits pour dompter les cours,
Alors que nos captifs deviennent nos vainqueurs,
Quoi qu'ils trouvent d'aimable au trait qui nous surmonte.
Ne peuvent regarder ce changement sans honte.
De mépriser l'amour mon cour ne sait plus l'art :
Mais, que vois-je ? Carlos dans ma chambre si tard.
Ô ciel !
SCÈNE II. Carlos, Isabelle, Clarine.
CARLOS.
De ce logis voyant la porte ouverte,
Je n'ai pu refuser l'occasion offerte,
Et suivant mon amour, j'ai cru pouvoir monter,
Sans perdre le respect, et sans vous irriter.
ISABELLE.
Quoi ! Vous vous figurez que sans que je m'irrite.
Je puisse ainsi de vous souffrir une visite,
Non, votre espoir se trompe, et cette liberté
Marque en vous peu d'amour, ou trop de vanité !
Pouvez-vous bien m'aimer et prendre une licence,
Qui fera contre moi parler la médisance ?
Ou sans être trop vain, pouvez-vous bien penser
Qu'un dessein si hardi ne puisse m'offenser.
CARLOS.
Quelque raison que j'aie ici pour ma défense,
Je me tiens criminel puisque je vous offense,
Et profiterais peu d'être assez obstiné,
Pour me croire innocent, quand je suis condamné.
ISABELLE.
Oui, oui, je vous condamne et pour votre supplice,
Il faut que vous sortiez, et que je vous bannisse.
CARLOS.
Je n'en appelle point ; je vais me retirer :
J'obéis à regret ; mais sans en murmurer.
ISABELLE.
Quoi, vous sortez si tôt ? Quel motif vous y porte ?
CARLOS.
Puisque vous l'ordonnez, il faut bien que je sorte,
Je dois vous obéir.
ISABELLE.
Pour un parfait amant,
C'est obéir, Carlos, un peu bien promptement :
Croyant que vous m'aimez, je paraitrais trop vaine,
On chérit sans ardeur ce qu'on quitte sans peine ;
L'amour, par des respects, se sait mal exprimer,
Qui sait bien obéir, ne sait pas bien aimer.
CARLOS.
Ce discours surprenant rend mon âme interdite !
Pouvez-vous bien vous plaindre, alors que je vous quitte ;
Quand je vous obéis, contre mon sentiment,
Quand mon amour éclate en mon aveuglement.
Et quand, par une ardeur, qui n'est pas fort commune,
Mon bonheur me déplaît, lorsqu'il vous importune,
Que n'auriez-vous point dit, si, cherchant mes plaisirs
J'avais à vos souhaits préféré mes désirs,
Et de quelle façon pourrai-je enfin vous plaire,
Si vous obéissant, je vous mets en colère ?
ISABELLE.
Pour un homme amoureux, vous raisonnez trop bien,
Où l'Amour est puissant, la Raison ne peut rien,
L'un ne peut s'établir, tant que l'autre subsiste,
Quelquefois une fille aime qu'on lui résiste,
Qu'on s'obstine à l'aimer sans son consentement ;
Et comme ses désirs s'expliquent rarement,
Elle parle souvent pour se voir contredire,
Et pour être forcée à ce qu'elle désire :
Suivant cette maxime, en cet événement,
Possible ai-je parlé contre mon sentiment,
Et peut-être bien loin de me croire outragée,
Ne m'obéissant pas vous m'auriez obligée.
CARLOS.
C'est agréablement que je reste confus,
Si cet aveu m'étonne, il me charme encor plus,
Et s'il faut demeurer pour ne vous pas déplaire,
Il n'est rien plus aisé que de vous satisfaire ;
Puisque l'obéissance a pour vous peu d'appas,
Je resterai, Madame, et n'obéirai pas.
ISABELLE.
Il n'est plus temps ! Sortez, j'ai changé de pensée,
L'occasion se perd sitôt qu'elle est passée,
Vous auriez trop d'orgueil, et j'en aurais trop peu,
Si je vous retenais après un tel aveu.
CARLOS.
Cet ordre est rigoureux..
ISABELLE.
Il est sans injustice,
Je n'aime pas toujours qu'on me désobéisse,
Suivez Clarine ; allez, et gardez d'être vu.
Ô Ciel ? J'entends mon père.
CLARINE.
Hélas tout est perdu,
Possible il s'est douté de votre intelligence,
Note: Diligence : Activité, promptitude à exécuter notre devoir, ou nos desseins. [F]Dedans ce cabinet entrez en diligence.
SCÈNE III. Alphonse, Clarine, Isabelle.
ALPHONSE.
Ah ma fille ? Ah ma fille ?
ISABELLE, à part.
Il paraît furieux,
Je lis trop clairement mon malheur dans ses yeux.
ALPHONSE.
Pourrais-je vivre après des disgrâces si grandes ?
ISABELLE.
Qu'est-il donc arrivé ?
ALPHONSE.
Quoi tu me le demandes,
Vois-tu pas dans l'excès de mes vives douleurs,
Que je suis accablé du plus grand des malheurs ?
ISABELLE.
Quoi ! Quel malheur mon père ?
ALPHONSE.
Isabelle, Isabelle,
Ce n'est plus de ce nom qu'il faut que l'on m'appelle.
ISABELLE, à part.
Je feindrais vainement ; il faut tout confesser.
ALPHONSE.
Quel fatal changement ! Ciel ! Qui l'eût pu penser.
ISABELLE.
De grâce, écoutez-moi.
ALPHONSE.
Que veux-tu que j'écoute,
Je ne sais que trop bien ce qu'aujourd'hui me coûte,
Cet amour qui se plaît dans le sang et les pleurs,
Et cache des poisons quand il montre des fleurs.
ISABELLE.
J'avoue...
ALPHONSE.
Ah que souvent nos attentes sont vaines,
Souhaitant des enfants, qu'on souhaite de peines.
ISABELLE.
Si son trépas...
ALPHONSE.
Oui, oui, son trépas est certain.
ISABELLE.
Souffrez que par mes pleurs.
ALPHONSE.
Tu les répands en vain.
ISABELLE.
Mon père ! La vengeance est fort aisée à prendre.
ALPHONSE.
Hélas ! Contre le Duc que pourrais-je entreprendre
ISABELLE.
Le Duc ! Que dites-vous.
ALPHONSE.
Hé quoi, tu ne sais pas.
Que mon fils par son ordre a reçu le trépas.
ISABELLE.
C'est ce que j'ignorais ! Ô Disgrâce cruelle.
ALPHONSE.
Valère de sa part n'en a dit la nouvelle,
Et m'a voulu forcer de demeurer d'accord,
Qu'il n'a rien fait d'injuste en lui donnant la mort.
ISABELLE.
Quoi donc par une injuste et barbare contrainte,
Ainsi que la vengeance on vous défend la plainte.
ALPHONSE.
Oui pour punir mon fils, maêm avec son trépas,
On veut que je l'apprenne, et n'en murmure pas ;
Il semble qu'on souhaite, en causant ma ruine,
Que j'aille encor baiser la main qui m'assassine,
Et qui d'un fils si cher ayant percé le flanc,
Est encor fumante et teinte de mon sang.
ISABELLE.
Mais Seigneur, songez-vous dans cette conjoncture,
Que le corps de mon frère attend la sépulture.
ALPHONSE.
Oui, j'en ai pris le soin, par mon commandement
On le doit apporter dans cet appartement.
SCÈNE IV. Licaste, Alphonse, Isabelle, Clarine.
LICASTE.
Seigneur de votre fils la mort est trop certaine,
Nous l'avons apporté dans la chambre prochaine,
À quelques pas d'ici nous l'avons rencontré,
Sans habits et de coups si fort défiguré,
Que l'on pouvait douter avec quelque justice,
Que ce funeste corps fut celui de Fabrice,
Si l'on avait trouvé, cherchant avec soin,
Sa casaque assez proche, et son chapeau plus loin ;
Ce qui dans ce malheur m'a mis le plus en peine,
C'est que j'ai fait du reste une recherche vaine,
Sas autres vêtements ne se sont point trouvés,
Et j'ignore qui peut les avoir enlevés.
ALPHONSE.
Ô fils infortuné d'un père misérable !
LICASTE.
Vous pouvez voir d'ici cet objet déplorable.
Avant qu'on se prépare à le mettre au tombeau,
S'il vous plaît d'ordonner qu'on tire ce rideau.
ALPHONSE.
Il est fort à propos, Licaste qu'on le tire !
Que 'lon nous laisse seuls, que chacun se retire :
L'on tire le rideau et l'on voit dessus un lit un corps massacré.
Dans ce funeste objet mes regards interdits
Ne trouvent presque plus aucun trait de mon fils,
Et mon désordre a peine à me laisser connaître
Dans ce corps massacré celui que j'ai fait naître :
Mon fils, si dans l'état où nos malheurs t'ont mis,
Un nom encor si doux me peut être permis.
À ce spectacle affreux, qui rend ma peine extrême,
Je me sens plus atteint de tes coups que moi-même,
Mon destin malheureux diffère peu du tien,
Le sang que tu répands est le plus pur du mien ;
Le bras dont la rigueur hâte tes funérailles,
N'a pu percer ton flanc sans percer mes entrailles,
Et si nous différons dans un sort si confus,
C'est que je sens les maux que tu ne souffres plus !
Sources de mes ennuis, blessures violentes ,
Qui ne paraissez plus que des bouches sanglantes,
Dont les muets accents sollicitent mon bras
À venger cette mort par un autre trépas,
Le sort d'un Souverain n'est pas en ma puissance,
En vain contre un tel sang vous demandez vengeance ;
Je ne puis vous offrir d'autre sang en ces lieux,
Que celui que mon cour fait couler par mes yeux.
ISABELLE.
la cruauté du Duc devrait être punie.
ALPHONSE.
Il est mon Prince encor malgré sa tyrannie,
Le destin des sujets dépend des souverains :
Un crime devient juste en partant de leurs mains ;
Et, malgré leurs rigueurs, si ces Dieux de la terre
Doivent être punis, c'est d'un coup de tonnerre ;
Je ferais aussi bien des efforts superflus,
Mon fils revivra-t-il, si le Duc ne vit plus ?
Mais Clarine à la hâte ici s'est avancée.
SCENE V. Clarine, Alphonse, Isabelle.
CLARINE.
Ah, Seigneur ; ah, Madame...
ALPHONSE.
Êtes-vos insensée ?
CLARINE.
J'ai vu.
ALPHONSE.
Qu'avez-vous vu qui vous trouble si fort.
CLARINE.
J'ai vu, j'ai vu...
ALPHONSE.
Quoi donc ?...
CLARINE.
J'ai vu marcher un mort.
ALPHONSE.
Vous perdez la raison.
CLARINE.
Rien n'est plus véritable,
Il marche sur mes pas ce fantôme effroyable.
Je l'entends, je le vois ce spectre que je fuis.
ISABELLE.
C'est mon frère...
ALPHONSE.
Ô merveille ! En effet c'est mon fils.
SCÈNE VI. Alphonse, Fabrice, Isabelle.
ALPHONSE.
Mon fils, mon âme est-elle éclaircie ou trompée,
Est-ce une illusion dont ma vue est frappée
Si c'est un vain objet, que forme ma terreur,
Finisse au moins, ma vie avecque mon erreur ?
Peux-tu bien des vivants être encor du nombre,
Vois-je ton corps, Fabrice, ou bien vois-je ton ombre,
Viens-tu pour me combler ou de joie ou d'effroi ?
Viens m'éclaircir, mon fils ! Approche, embrasse-moi.
FABRICE.
Je vois le jour, Seigneur, et j'y trouve des charmes,
Puisqu'à vos yeux ma vie épargne quelques larmes ;
Ce n'est pas qu'outragé du sort et de l'amour,
L'on ne me fit faveur de me priver du jour,
Mais bien qu'on m'obligeât, dans l'état où j'ai l'âme,
D'éteindre avec mon sang tout ce que j'ai de flamme ;
Et que ce sang versé rendu mon sort plus doux,
J'aime à le conserver, parce qu'il vient de vous.
ALPHONSE.
D'où te vient pour la vie une il forte haine,
Tu ne saurois douter de l'amour de Climène ;
La passion du Duc te rend trop alarmé,
Si tu chéris beaucoup, tu n'es pas moins aimé.
FABRICE.
C'est un témoin bien faux qu'une belle apparence,
Je m'assurais trop bien de la persévérance,
Et croirais même encor ses désirs innocents,
Si je pouvais douter du rapport de mes sens.
J'ai de sa perfidie un trop sûr témoignage ;
J'ai de sa propre bouche appris qu'elle est volage,
L'ingrate entretenait mon rival fortuné,
D'un air si peu commun et si passionné,
Que le respect du Duc, ni les soins de ma vie,
De marquer mon dépit n'ont pu m'ôter l'envie :
Le Duc aux premiers mots plein de haine et d'amour
A donné l'ordre exprès de me priver du jour ;
Et, connaissant alors ma défense inutile,
Sous un portail obscur j'ai cherché mon asile,
Tandis qu'un inconnu, marchant de ce coté
Que l'on a pris pour moi parmi l'obscurité,
S'est trouvé, tout-à-coup, environné de gardes,
Note: Hallebardes : Arme d'attitude offensive, constitué d'un long fût ou bâton d'environ cinq pieds, qui a un crochet ou un fer plat et échancré aboutissant en pointe, et au bout une grande lame de fer forte et aigue. [F]Et s'est senti percer de coups de hallebardes.
Dès que ces assassins ont été retirés,
Pour tirer de péril mes jours mal assurés ,
Et rendre cette erreur encor plus vraisemblable,
J'ai pris l'habit sanglant de ce corps déplorable ;
Et j'étais déjà prêt à lui laisser le mien,
Dans le courant du fleuve ayant jeté le sien,
Alors qu'un bruit de voix, traversant mon envie,
M'a fait laisser ce corps sans habits et sans vie,
Pour me rendre en ces lieux près de vous promptement,
Et vous donner avis de cet événement.
ALPHONSE.
De cet heureux succès la suite m'épouvante,
Apprends que de ta mort déjà la Duc se vante ;
Il croit ta perte juste, et m'oblige à juger
Que tes jours conservés sont encor en danger ;
Si tu veux m'obéir par une prompte absence,
Soustraits sans différer ta vis à sa vengeance.
FABRICE.
Mais quoi ! Quitter Climène.
ALPHONSE.
Elle t'a bien quitté,
Son exemple te guide à l'infidélité ;
Si trahir qui vous aime est un trait de bassesse,
Aimer qui nous trahit n'est pas moindre faiblesse.
FABRICE.
Je suis toujours amant, quoi qu'amant maltraité,
Elle a moins d'injustice encor que de beauté :
Son crime dans ses yeux n'a rien mis d'effroyable,
Elle cesse d'aimer sans cesser d'être aimable ;
Et mon cour qu'elle charme et qu'elle a su trahir,
S'est trompé s'il a cru qu'il la pouvait haïr.
ALPHONSE.
De cette erreur, l'absence est l'unique remède,
Il faut à mes désirs que ta passion cède ;
Fuis par obéissance ou par ressentiment,
Assure ton salut par ton éloignement,
C'est ce que je désire.
FABRICE.
Et ce que j'appréhende.
ALPHONSE.
N'importe.
FABRICE.
Mais Seigneur.
ALPHONSE.
Mais je te le commande,
De peur d'être aperçu, sors sans suite et sans bruit,
Va passer chez Carlos le reste de la nuit ;
Et prends devant le jour le chemin de Florence,
Où j'ai beaucoup d'amis qui prendront la défense ;
Je ferai chez Carlos par un fidèle agent,
Te conduire un cheval avecque de l'argent.
FABRICE.
Ma soeur.
ALPHONSE.
Par des regrets n'accrois point ma disgrâce,
Sors, sors sans différer, adieu, que je t'embrasse,
De mon plus cher appui je me laisse priver,
Mais quoi je ne te perds qu'afin de te sauver.
SCÈNE VII. Alphonse, Isabelle.
ISABELLE.
Par quelle cruauté bannissez-vous mon frère.
ALPHONSE.
Tu me parles en soeur, et moi j'agis en père ;
Il est beaucoup plus doux à mon esprit confus
D'avoir un fils absent, que de n'en avoir plus :
Je veux tromper le Duc, et qu'il perde l'envie,
En sachant son trépas de poursuivre sa vie :
Je veux que dès demain ma maison soit en deuil,
Que pour mon fils ce corps soit mis en un cercueil,
Afin qu'avec le Duc tout Ferarre se trompe,
Je le veux honorer d'une funèbre pompe ;
Aussi bien devons-nous quelque honneur pour le prix,
D'un sang de qui la perte a conservé mon fils.
Enfin...
SCÈNE VIII. Fabrice, Alphonse, Isabelle.
FABRICE.
Seigneur...
ALPHONSE.
Qui peut te troubler de la sorte ?
FABRICE.
J'ai rencontré le Duc auprès de notre porte,
Il suivait un flambeau qui m'a pu faire voir,
J'ois du bruit : il me suit ; allez le recevoir.
ALPHONSE.
Ô devoir trop injuste ! Ô crainte trop cruelle,
Dedans ce cabinet passe avec Isabelle.
ISABELLE.
Il va trouver Carlos ; que dois-je devenir ?
FABRICE.
Suivez-moi donc ma soeur ; qui peut vous retenir.
ISABELLE.
J'ai peur qu'on ne nous voie et j'aurai moins de crainte,
Pourvu que la lumière en ce lieu soit éteinte.
FABRICE.
Je n'y contredis point dépêchons-nous d'entrer.
SCÈNE IX.
CARLOS, sortant du cabinet.
Ils sont entrés tous deux ; sortons sans différer.
Le sort à mes désirs cesse d'être contraire,
Je puis sortir : mais, quoi j'entends la voix du père.
Que je suis malheureux !
SCÈNE X. Le Duc, Valère, Alphonse, Carlos, Gardes
LE DUC.
Je ne suis point déçu,
Votre fils est vivant, Alphonse je l'ai vu :
Ayant su que Climène était évanouie,
J'ai voulu prendre soin d'une si belle vie ;
Et, conduit par l'amour, j'allais en son logis.
Alors que le hasard m'a sait voir votre fils.
Je sais qu'elle l'adore, et j'oserai vous dire
Que son mal cessera si Fabrice respire ;
Enfin, je le souhaite, et suis ici monté.
Afin de m'éclaircir de cette vérité.
ALPHONSE, montrant au Duc le corps qui est sur le lit.
Seigneur, il est aisé de vous tirer de peine,
Voici mon fils, jugez si sa perte est certaine,
Vous le craigniez vivant, ne le craignez plus mort,
Voyez son sang glacé qui fume à votre abord.
LE DUC.
C'est trop; j'ai de sa perte une assurance entière,
Mais que faisait Carlos en ce lieu sans lumière.
CARLOS, à part.
Pour sauver notre ami, feignons adroitement.
LE DUC.
Il paraît interdit.
CARLOS.
Seigneur c'est justement
Venant pour de Fabrice apprendre ici la perte,
Dès que je suis entré dans cette chambre ouverte,
Son spectre au même instant s'est offert devant moi,
Mais dedans un état qui m'a transi d'effroi.
D'un fantôme effroyable il avait la figure,
Son sein était ouvert d'une large blessure ;
Tout son teint était pâle, et tout son corps sanglant,
Il n'avançait vers moi que d'un pas chancelant ;
Il lançait un regard languissant et farouche,
Un sang livide et noir lui sortait de la bouche ;
Et sa vigueur mourante, en ce dernier effort,
Promenait dans ses yeux l'image de la mort.
LE DUC.
La même vision tantôt m'est survenue ;
Mais Fabrice a paru moins horrible à ma vue :
J'ai cru le voir vivant.
CARLOS.
Je vous donne ma foi
Que votre Altesse a vu son ombre comme moi.
C'est ce qui me confond, je tenais pour un conte
Ce que des spectres vains le vulgaire raconte :
Je ne pouvais penser qu'un esprit hors d'un corps,
Pour s'offrir aux vivants, se sépara des morts ;
Qu'il cessa d'être simple, et qu'il lui fut possible,
Quand il n'a plus de corps, d être encore visible.
Ce succès toutefois me doit épouvanter,
Je ne le saurais croire, et je n'en puis douter ;
Mais adieu ; votre ennui s'accroît par ma présence.
ALPHONSE.
Seigneur je vous conduis.
LE DUC.
Non ; je vous en dispense.
Je sais ce qu'est un père, et qu'il n'est pas permis
De rendre des devoirs à qui vous ôte un fils.
ALPHONSE, à Carlos.
Que ne vous dois-je point ?
CARLOS.
La grâce n'est pas grande,
Que Fabrice, à l'instant, en mon logis se rende,
D'ici, sans qu'on le voie, il se peut évader,
je vais suivre le Duc pour le persuader.
SCÈNE XI. Alphonse, Fabrice, Isabelle.
ALPHONSE.
Sors et choisis demain Florence pour retraite.
FABRICE.
Seigneur...
ALPHONSE.
Sans répliquer, fais ce que je souhaite,
Pour toi tous mes désirs doivent être des lois ;
Adieu ; viens m'embrasser pour la dernière fois.
ISABELLE.
Seigneur, malgré vos soins je crains bien que mon frère
Ne se puisse soumettre à cet ordre sévère :
Par ses derniers discours je n'ai que trop compris
Qu'il aime encor Climène après tous ses mépris,
Et que son âme aveugle est encor résolue
À tout perdre plutôt qu'à la perdre de vue.
ALPHONSE.
Je veux m'en éclaircir, et j'y saurai pourvoir,
Chez Climène demain rends-toi devers le soir ;
Le mal qui l'a surprise à ce devoir t'invite,
Et tandis à Carlos j'irai rendre visite ;
Si mon fils est resté, j'espère, avec raison.
De le trouver dans l'une ou dans l'autre maison
Mais il est tard ; adieu : la fortune inhumaine,
T'accorde du repos autant que j'ai de peine,
Je souffre assez d'ennuis.
ISABELLE.
Les maux que je ressens
Pour être plus cachés ne sont pas moins pressants.
ACTE III
SCÈNE PREMIÈRE. Le Duc, Jacinte dans le jardin de CLimène.
JACINTE.
C'est ici le jardin, Seigneur, où ma maîtresse
Viendra dans un moment, promener sa tristesse :
L'ennui que lui produit la mort de son amant,
Ainsi que sa santé, trouble son jugement,
Encor que de son mal, le danger soit extrême.
Elle marche et voudrait se fuir presqu'elle-même ;
Je puis vous assurer que bientôt ses douleurs
L'amèneront ici pour pleurer ses malheurs ;
Et vous la pourrez voir, sans témoins et sans peine,
Pour peu que votre Altesse en ce lieu se promène.
LE DUC.
Ton soin accroît ma peine, et non pas mon espoir,
Je brûle également, et je crains de la voir :
Je brûle de la voir, quand je me représente
De toutes ses beautés une image charmante ;
Et quand ses déplaisirs me sont représentés,
Je crains, de rencontrer ses beaux yeux irritez ?
Oui, oui, je crains de voir cette belle affligée,
Me reprocher les maux où mes feux l'ont plongée,
Dire que de mes soins sa haine est le seul fruit ;
Et qu'avec mon rival mon espoir est détruit.
JACINTE.
Votre Altesse, Seigneur, doit être préparée
Aux reproches sanglants d'une amante éplorée ?
À vous parler sans fard, j'ai peine à présumer
Que son cour aisément se porte à vous aimer.
Mais votre âme, en ce point, doit-elle être incertaine,
Servez-vous de la force, où la douceur est vaine,
Puisque tous vos désirs tendent à l'épouser :
Ravissez un bonheur qu'on veut vous refuser ?
Enlevez cette amante, aveugle et rigoureuse,
Et malgré qu'elle en ait, forcez-la d'être heureuse.
LE DUC.
Moi, l'enlever ! Non, non, je n'y puis consentir,
La force avec l'amour ne saurait compatir :
Je voudrais être aimé sans qu'elle fut contrainte,
Et qu'elle eût de l'amour sans avoir de la crainte ;
Mais, loin que son dédain cessât par cet effort,
En devenant plus juste, il deviendrait plus fort.
JACINTE.
Vos raisons ne sont pas tout-à-fait légitimes:
Notre sexe, Seigneur, a d'étranges maximes ;
Souvent ce qu'il témoigne est ce qu'il ne sent pas,
Il aime rarement les débris du trépas :
Dans l'esprit d'une amante, après cette disgrâce,
L'amour devient douleur, et la douleur se passe ;
Et malgré ses serments et ses cris superflus,
La passion défaut, lorsque l'objet n'est plus ?
Climène dans son cour, dès ce moment peut-être
Des cendres de l'amour sent l'ambition naître.
S'apprête à préférer, malgré son juste deuil,
Le possesseur d'un trône au dépôt d'un cercueil ;
Et possible déjà de ses ennuis lassée,
À cet élection voudrait être forcée.
LE DUC.
La forcer à l'hymen et la faire enlever.
Sont les derniers moyens que je veux éprouver,
Ayant que de tenter la moindre violence
Je veux la voir.
JACINTE.
Seigneur, la voici qui s'avance.
LE DUC.
Vois comment elle rêve, et comme ses pas lents
Marquent de son esprit les troubles violents,
On voit sur sa pâleur sa tristesse étalée.
JACINTE.
Laissez-moi l'aborder ? Passez dans cette allée.
SCÈNE II. Climène, Jacinte, Le Duc.
JACINTE.
Madame...
CLIMÈNE.
Qu'on me laisse un moment seule ici !
Que chacun se retire, et vous, Jacinte aussi !
JACINTE.
Mais si le Duc...
CLIMÈNE.
Sortez, sans achever le reste,
Ne prononcez jamais ce nom que je déteste.
LE DUC.
Ah ! Que j'ai de malheurs !
JACINTE.
Je vous l'avais bien dit
La douceur ne peut rien sur ce farouche esprit.
LE DUC.
Je suivrai ton conseil : sortons en diligence,
Sa fierté s'accroîtrait encor par ma présence.
JACINTE.
De peur qu'on ne vous voie, il faut la voir entrer
Avant que de ces lieux je vous puisse tirer :
Je m'en vais y veiller : et tandis votre Altesse
Peut dans ces promenoirs divertir sa tristesse.
SCÈNE III.
CLIMÈNE, seule.
STANCES.
Toi, qui fais l'impossible avec facilité,
Guide errant et sans yeux, enfant sans innocence,
Tyran des cours, Amour, qui t'es toujours vanté,
Que la mort cède à ta puissance.
Contre elle de tes droits viens donner connaissance,
Ou permets qu'à ces traits je puisse recourir,
Fais revivre Fabrice, ou laisse-moi mourir.
Les objets les plus doux, loin de me divertir,
Accroissent de mes maux la rigueur et le nombre,
Le Soleil, qui me luit ne sert qu'à m'avertir
Que Fabrice n'est plus qu'une Ombre.
Les lys me semblent noirs, et la verdure sombre,
Et la plus vive rose, en ce fatal moment,
Paraît teinte à mes yeux du sang de mon amant !
Cher amant, triste objet de mes cris superflus.
Dont l'image est sans cesse en ma mémoire errante,
Ne me reproche point si, quand tu ne vis plus
Je demeure encore vivante.
La mort m'aurait rejointe à ton Ombre sanglante,
Si j'avais pu finir ma vie et ma langueur.
Sans faire encor périr Fabrice dans mon cour.
Ton rival, animé du barbare dessein,
De terminer ton sort, qui lui faisait envie,
Ne frappa que mon cour, lorsqu'il perça ton sein,
Et n'attentat que sur ma vie.
Sa fureur est trompée, au lieu d'être assouvie,
En tranchant tes dessins, il a trahi ses voeux ;
Car je meurs dans ta cendre, et tu vis dans mes feux.
Et tu vis dans mes feux ! Ah ! Que dis-je insensée,
Ton image vivante en mon âme est tracée,
Mais ces traits immortels, qui me flattent si fort,
Sont les traits de Fabrice , et de Fabrice mort.
Était-il raisonnable, injuste destinée !
Que la mort l'attendît si près de l'hyménée ?
Mais ne raisonnons point en de si grands malheurs,
Étouffons nos sanglots ; interdisons nos pleurs,
Et, pour de nos ennuis envenimer l'atteinte,
Ne nous accordons pas l'usage de la plainte.
Nourrissons notre deuil ; et, par des soins prudents,
De peur de l'affaiblir, renfermons-le au-dedans,
Signalons nos regrets, mieux qu'avec la parole :
Lorsqu'on a tout perdu, qui se plaint, se console ?
Oui, cher amant, pour mieux déplorer ton trépas :
Mais, quel bruit effroyable entends-je sous mes pas,
Pour me joindre à Fabrice, il semble qu'un tonnerre
Se prépare à sortir du centre de la terre .
Il se fait un grand bruit sous le théâtre.
Ciel ! Le bruit redouble, et par des coups nouveaux
Je sens que sous mes pieds on creuse des tombeaux,
Je vois tomber les fleurs, déraciner les plantes,
Des arbres les plus forts, les souches sont tremblantes,
Fuyons ; mais je ne puis ; la peur me le défend.
Dieu ! Le désordre augmente, et la terre se fend ?
Ô Ciel ! Fabrice en sort, la force ici me laisse,
Je n'en puis plus, je meurs de crainte et de faiblesse.
Elle tombe sur un gazon évanouie.
SCÈNE IV. Fabrice, Climène.
FABRICE, sortant de la mine.
Grâce aux soins de Carlos, et malgré le destin,
J'ose espérer de voir Climène en ce jardin.
Mais pour cacher à tous cette étrange aventure,
Couvrons de cette mine avec soin l'ouverture :
Ces caisses pourront rendre, avec ces rameaux verts
Cette mine invisible, et ces débris couverts,
Il ne me reste plus que de chercher l'ingrate
Devant qui je prétends que mon dépit éclate ;
Je lui veux reprocher mes services passés,
Son amour inconstant et ses serments faussés,
De peur que mon trépas lui donne de la joie,
Afin de l'affliger, je veux qu'elle me voie,
Et que l'ingrate ici m'entende protester,
Que je veux vivre encor, mais pour la détester.
Je la vois, je la vois, cette belle inconstante,
Mais , hélas ! Je la vois pâle, froide et mourante :
À ce funeste objet, qui me rend interdit,
Une tendre pitié succède à mon dépit ;
Et si cette pitié, que son malheur me cause,
N'est pas encore amour, il s'en faut peu de chose :
Climène, beau sujet de mon feu renaissant,
Jette encor sur Fabrice un regard languissant,
Malgré tout mon dépit, malgré ton inconstance,
Je n'ai point contre toi souhaité de vengeance.
Reviens, et si tu veux que je ne vive pas,
D'un regard, tout au moins, honore mon trépas :
J'entends quelqu'un marcher ; cachons-nous sans l'attendre ;
Si j'entrais dans la mine, on pourrait me surprendre.
SCÈNE V. Le Duc, Climène.
LE DUC.
Je viens d'ouïr des coups qui m'ont inquiété,
Le bruit qui m'a surpris est fait de ce côté.
Avançons ; j'aperçois Climène qui sommeille ;
Mais, hélas ! Ô disgrâce à nulle autre pareille ;
Elle a perdu le jour, et sous un voile épais
Ses beaux yeux sont fermés pour ne s'ouvrir jamais.
Par quelle loi faut-il ! Ô destin tyrannique,
Qu'une beauté si rare ait un sort si tragique,
Et que l'astre naissant, dont mon feu s'est produit,
Trouve dès son matin une éternelle nuit ;
Mais, quelle est mon erreur, ô merveille adorable !
Le sort est innocent, et je suis seul coupable,
C'est ce bras inhumain, qui par un coup fatal
M'a ravi ma maîtresse, en m'ôtant mon rival.
CLIMÈNE.
Hélas...
LE DUC.
Elle respire : Amour, sois-moi propice.
Climène, ouvrez les yeux.
CLIMÈNE.
C'est donc toi, cher Fabrice,
Fantôme que j'adore, Ombre de mon amant ?
Que veux-tu...
LE DUC.
Sa douleur trouble son jugement.
CLIMÈNE.
Viens-tu me reprocher d'une voix imprévue ,
Que tu verrais le jour, si tu ne m'avais vue,
Et que de notre amour, le feu jadis si beau
Brilla pour t'éclairer à descendre au tombeau.
LE DUC.
Non, non, détrompez-vous, adorable Climène.
CLIMÈNE.
Dis-moi donc, cher amant le sujet qui t'amène
Viens-tu solliciter, et mon cour, et mon bras,
De différer ma mort pour venger ton trépas ;
Veux-tu que cette main, au sang du Duc plongée,
Rende ma perte juste, et le tienne vengée !
Parle, parle ? Hé bien par un illustre effort
Il sera hors d'état de rire de ta mort ;
Au milieu d sa Cour aux yeux de tout Ferrare,
J'irai percer le cour de ce prince barbare.
LE DUC.
Ce n'est que de vos yeux que mon coeur craint les coups ?
Connaissez qui vous parle, et revenez à vous,
L'excès de vos ennuis vous fait un tort extrême.
CLIMÈNE.
Que vois-je ?...
LE DUC.
Vous voyez un Prince qui vous aime.
CLIMÈNE.
Quel accident funeste, et quel cruel destin,
Au lieu de mon amant, m'offre son assassin,
Seigneur, souffrez ce mot d'une amante offensée.
Qui de vous respecter doit être dispensée.
Quoi, vous n'êtes donc pas assouvi pleinement,
D'avoir su me priver d'un noble et cher amant,
Et, par ces cruautés sans exemple et sans nombre,
Vous venez donc encor me priver de son Ombre.
LE DUC.
L'Ombre dont vous parlez n'est qu'une illusion,
Que forme votre crainte et votre affliction,
Et quand j'ai dissipé cette funeste image.
J'ai cru vous faire plus de faveur que d'outrage.
Quant à Fabrice mort, daignez vous souvenir
Que c'est votre intérêt qui me l'a fait punir.
Le discours qu'il vous tint avec tant d'insolence,
M'a porté justement à cette violence :
Je vous eusse offensée, en lui laissant le jour,
Et j'aurais moins osé, si j'eusse eu moins d'amour.
CLIMÈNE.
À ce compte il faudra que je vous rende grâce
De m'avoir exposée aux dernières disgrâces,
D'avoir cruellement fait périr à mes yeux
L'objet, sans qui pour moi le jour est odieux ;
D'avoir ravi mon âme à la sienne assortie,
Et percé de mon cour la plus chère partie :
De vos prétentions vous êtes éloigné,
En perdant un rival, vous n'avez rien gagné,
Et l'art que vous mettez à le noircir de blâme,
Ne saurait l'empêcher de vivre dans mon âme ?
Quand ce mort, que je sens vivant dans mes esprits
M'eût autant témoigné de haine et de mépris,
Que vous montrez d'amour et de respect encore,
Je l'eusse autant aimé, que mon cour vous abhorre.
LE DUC.
Je ne condamne point ce juste emportement,
S'il était mon rival, il était votre amant,
Et j'eus tort d'outrager, d'une rage animée,
Votre image charmante en son cour imprimée.
Je sais que ce rival, qui m'était odieux
Eut plus de droit que moi de plaire à vos beaux yeux :
Son mérite tout seul l'avait rendu coupable,
Et je le haïssais pour être trop aimable ;
Mais en le haïssant, je vous aimais assez,
Pour voir, sans murmurer, ses soins récompensés,
S'il eût pu, comme moi, joindre en votre personne,
Au présent de son cour le don d'une couronne ;
Vous pouvez recevoir ces deux biens de ma main,
Mais déjà vos regards marquant votre dédain :
Pour moins vous irriter, je vous laisse et j'espère
Qu'un jour à mes désirs vous serez moins contraire.
CLIMÈNE.
Le temps n'a point pour moi de remède assez fort,
Mon mal n'aura jamais de terme que ma mort.
SCÈNE VI. Jacinte, Fabrice, Climène.
FABRICE.
Approchons ; j'aperçois le Duc qui se retire,
Ma peine est dissipée, et Climène respire ;
Mais Dieu ! Qui vient encore ici me traverser.
JACINTE, à Climène.
Le funèbre appareil à l'instant va passer.
CLIMÈNE.
Quoi ! Celui de Fabrice ?
FABRICE.
Approchons ; c'est Jacinte,
Pour elle il ne faut pas me faire de contrainte.
JACINTE.
Oui, de votre balcon, dans ce même moment,
L'on peut voir le cercueil qui cache votre amant :
Son père, qui prétend rendre son deuil célèbre,
Honore son trépas d'une pompe funèbre ;
Et tandis qu'on le porte au temple destiné,
Vous pourrez voir passer ce corps infortuné.
CLIMÈNE.
C'est mon dernier souhait.
FABRICE, se découvrant.
Il faut qu'il s'accomplisse.
Contentez-vous ? Voyez le malheureux Fabrice.
JACINTE.
Ciel ! Contre ce Fantôme, où dois-je avoir recours,
La suite en ce péril sera mon seul secours !
Où puis-je me sauver ?
CLIMÈNE.
Quoi ! Jacinte me laisse ?
JACINTE, en s'enfuyant.
Je ne reconnais plus que la peur pour maîtresse.
FABRICE, retenant Climène.
Vous me fuyez, ingrate et perfide beauté,
C'est faire aller trop loin votre légèreté :
Si sur votre âme encor quelque justice règne,
Après m'avoir trahi, souffrez que je me plaigne.
CLIMÈNE.
Moi, vous trahir ! Qu'entends-je, en quel étonnement
Me met la nouveauté de cet événement !
S'il saut croire mes yeux, dedans cette rencontre,
C'est Fabrice vivant, que ce hasard me montre ;
Mais si j'en crois sa voix, ce n'est assurément
Qu'un Fantôme trompeur d'un si fidèle amant.
FABRICE.
Je suis ce même amant, qui, contre votre envie,
En perdant tout espoir n'a pu perdre la vie.
Oui, oui, je vis encore ; et, malgré mon courroux,
Ingrate je crains bien de vivre encor pour vous :
Je ne sais qui s'oppose au dépit qui m'inspire,
Qu'au lieu de murmurer, je sens que je soupire,
Et que toute l'ardeur qui me reste en ce jour
Ressemble beaucoup moins au dépit qu'à l'amour.
CLIMÈNE.
À ce dernier aveu je reconnais Fabrice,
En secret, malgré lui son cour me rend justice ;
Et quand sa bouche injuste ose me condamner
À me croire fidèle il semble s'obstiner.
FABRICE.
Fidèle ! Ah ! C'est au Duc que ce discours s'adresse,
Il doit seul espérer toute votre tendresse.
CLIMÈNE.
Peux-tu bien m'imputer ces lâches sentiments !
FABRICE.
Ce sont des vérités, si j'en crois vos serments,
Je douterais encor de ce malheur extrême,
Si je l'avais apprise autre que de vous-même.
CLIMÈNE.
D'un mal que l'on connaît le remède est aisé,
Je connais ton erreur, cesse d'être abusé ;
Si dans le dernier soir, second en infortune.
J'ai marqué pour le Duc des bontés peu communes,
J'ai cru l'entretenir, et dessus cette foi,
Ce que j'ai dit pour lui ne s'adressait qu'à toi :
Ton image, qui sait avecque tant de gloire
Occuper tous mes sens, mon cour et ma mémoire,
Fut seule criminelle, en ce fatal moment,
Si c'est crime en amour qu'un peu d'aveuglement.
FABRICE.
Pour un amant dont l'âme aux soupçons s'abandonne,
La plus mauvaise excuse est toujours assez bonne ;
Un mensonge qui plaît, trompe agréablement,
Et tout ce qu'on souhaite est cru fort aisément.
Quand toutes tes raisons seraient des raisons feintes,
Il est si doux pour moi de voir finir mes craintes,
Et flatter les ennuis que tu m'as su causer,
Que tu m'obligerais de vouloir m'abuser.
CLIMÈNE.
De ces lâches soupçons que ton cour se délivre,
Si tu veux t'éloigner, je suis prête à te suivre ;
Tu connaîtras partout l'équité de ma foi,
Soit qu'il me faille vivre où mourir avec toi ?
Que le Ciel favorise ou trompe notre attente,
Je vivrai satisfaite, et je mourrai contente.
FABRICE.
Que dois-je...
CLIMÈNE.
Tu ne dois aucuns remerciements,
En suivant tes désirs, je suis mes sentiments :
Mais qui t'a pu sauver.
FABRICE.
Le destin m'a fait grâce,
Un passant a péri dans la nuit en ma place ;
Et cette mine encor m'a donné le moyen
Du logis de Carlos de passer dans le tien.
CLIMÈNE.
Tu peux entretenir ici tes rêveries :
Cependant que j'irai prendre mes pierreries.
Passe sous ce berceau ; je crois ouïr du bruit,
Je te viendrai trouver, sitôt qu'il dera nuit.
SCÈNE VII. Fabrice, Jacinte.
FABRICE.
Si je ne suis trompé, Jacinte ici s'avance ;
De ma chère Climène elle a la confidence ;
De tout point aujourd'hui le sort me sera doux,
Si je puis l'obliger à partir avec nous.
JACINTE.
De ma dernière peur remise encore à peine,
Je retourne, en tremblant, au logis de Climène ;
J'ai fait périr Fabrice, et je dois bien juger
Qu'il vient de l'autre monde, afin de se venger :
Ma perte, en ce moment, serait inévitable
Si j'allais rencontrer ce spectre épouvantable.
FABRICE.
'Arrête...
JACINTE.
C'est l'esprit ! Bon Dieu ! Je meurs d'effroi !
Ah ! Monsieur le Fantôme ayez pitié de moi ;
Je reconnais ma faute, et je vous fais promesse
De ne trahir jamais ni vous, ni ma maîtresse.
FABRICE, à part.
Qu'entends-je ? Il saut savoir les secrets jusqu'au bout.
Haut.
Ne me déguisez rien, aussi bien je sais tout.
JACINTE.
Ne me touchez donc point ; je m'en vais vous tout dire ;
Il est vrai que toujours j'ai tâché de vous nuire,
Que pour servir le Duc, j'ai fait tout mon effort,
Et que même je suis cause de votre mort.
FABRICE.
Esprit pernicieux !...
JACINTE.
N'entrez point en furie ;
Ce n'est pas encor tout, écoutez, je vous prie ;
J'oubliais que le Duc a, par mon sentiment,
De Climène aujourd'hui conclu l'enlèvement ;
Et que ce même soir possible sans remise
On doit exécuter cette injuste entreprise.
FABRICE.
Quelle infidélité !...
JACINTE.
J'ai dit tous mes forfaits ;
Trouvez bon maintenant que je vous laisse en paix !
Et sachez que pour moi la peine est sans seconde,
D'entretenir longtemps des gens de l'autre monde ;
Si vous n'étiez pas mort, vous seriez assez bon
Pour à mon repentir accorder mon pardon.
FABRICE.
Il me serait honteux de punir une femme :
Allez...
JACINTE.
Monsieur l'Esprit, Dieu veuille avoir votre âme.
FABRICE.
Le Duc doit enlever Climène cette nuit :
Ciel ! Mon espoir encor doit-il être détruit ;
Mais d'une vaine peur mon cour se laisse atteindre,
Puisque je suis aimé, je n'ai plus rien à craindre.
Allons ; souvenons-nous qu'il n'est rien d'assez fort
Pour désunir deux cours que l'Amour met d'accord ;
Et qu'augmentant sa force au milieu des obstacles,
Ce Dieu sait toujours l'art de faire des miracle.
ACTE IV
SCÈNE PREMIÈRE.
FABRICE, seul.
Voici l'heure propice où j'espère de voir
La Beauté dont mon cour adore le pouvoir.
Déjà l'astre du jour, achevant sa carrière,
Ne lance plus ici qu'une faible lumière ;
De ses derniers rayons il pare l'Occident,
Il tombe avec éclat ; il brille en se perdant ;
Et le reste brillant de sa clarté mourante,
Rend sa chute pompeuse et sa perte éclatante.
Pardonnez, ô soleil, dont la splendeur me nuit,
Si mon espoir s'accroît quand votre éclat s'enfuit :
L'amour ingénieux assemble pour ma peine
Tout l'éclat qui me charme aux beaux yeux de Climène ;
Et bientôt ses regards le rendront des clartés,
Qui passent de beaucoup celles que vous m'ôtez.
Mais qu'elle tarde ! Ô ciel, qu'elle a de négligence,
Elle ne paraît point, et la Lune s'avance ;
Tout mon espoir déjà s'éteint avec le jour,
Ce long retardement marque un défaut d'amour !
On marche, et si mes yeux sont de témoins fidèles,
Je vois venir enfin ce miracle des belles.
SCÈNE II. Climène, Fabrice.
CLIMÈNE.
Fabrice.
FABRICE.
Il n'est pas loin, beau sujet de mes feux ?
Ce Fabrice fidèle autant qu'il est heureux.
CLIMÈNE.
Auprès de toi plutôt j'espérais de me rendre;
Je crains de t'avoir sait ennuyer de m'attendre.
FABRICE.
Pour Fabrice, en effet, crois que de tes beaux yeux
Le moindre éloignement est beaucoup ennuyeux ;
Je t'attendais plutôt et, pour ne te rien feindre,
J'avais, dessus ce point, résolu de me plaindre ;
Mais, pour tout oublier, il suffit de te voir,
De me plaindre à tes yeux, je n'ai pas le pouvoir ;
Et le plaisir présent, qui flatte ma pensée
M'ôte le souvenir de ma peine passée.
CLIMÈNE.
Puisque l'amour te force à ne pas m'accuser,
La même passion, m'oblige à m'excuser.
Le soin des diamants, dont je me suis chargée,
À ce retardement ne m'a pas engagée ;
Le soin de prendre un temps propre à notre départ,
A pu seul m'obliger à te joindre si tard.
FABRICE.
Il faut de ce discours remettre ailleurs la suite,
Achevons nos desseins, et hâtons notre fuite ;
Du sort injurieux je crains encor les coups,
On s'y doit moins fier, lorsqu'il paraît plus doux.
CLIMÈNE.
Hâtons-nous, j'y consens, mais, que vois-je paraître,
Je crains que ce flambeau ne te fasse connaître ?
Cache-toi...
FABRICE.
Je mourrai plutôt que me cacher,
On peut te faire outrage, et je dois l'empêcher ;
Je suis bien averti que le Duc se prépare
À te faire enlever par un ordre barbare.
SCÈNE III. Le Duc, Valère, CLimène; Fabrice, Gardes.
VALÈRE.
Elle doit être ici...
LE DUC.
Je me tire à l'écart,
J'entendrai tout ! Allez, et parlez de ma part.
FABRICE.
Quoi ! Souffrir qu'on t'enlève, et même en ma présence.
CLIMÈNE.
Non ; si tu t'aperçois de quelque violence ;
Avance à mon secours, cependant cache-toi,
Et ne me laisse encore à craindre que pour moi.
Que cherchez-vous, Valère, en ces lieux à telle heure ?
VALÈRE.
Je ne souhaitais pas de rencontre meilleure :
Un carrosse, à présent vous attend ici près,
Je vous y dois conduire, et j'en ai l'ordre exprès.
CLIMÈNE.
De qui vous vient cet ordre ?
VALÈRE.
Il vient du Duc , mon maître,
Qu'ici,pour Souverain , chacun doit reconnaître.
CLIMÈNE.
Tout Souverain qu'il est, il doit pourtant savoir
Que l'âme de Chimène est hors de son pouvoir ;
Mon cour dépend d'un autre, et quoi qu'il puisse dire,
Ce n'est pas un sujet qui soit sous son empire.
VALÈRE.
Madame, je vous plains, mais il saut obéir.
CLIMÈNE.
Croit-il se faire aimer, comme on se fait haïr ;
Perdant la liberté, pense-t-il que je prenne
Pour des effets d'amour tant de marques de haine ;
De son inimitié que peut-on redouter,
Si, quand il m'aime, il cherche à me persécuter ?
VALÈRE.
Je suis autant forcé que vous êtes contrainte.
Mais, quoi ! Votre âme en vain s'abandonne à la plainte :
Suivez-moi promptement ou je vais...
LE DUC.
Arrêtez !
Pour souffrir qu'on m'outrage elle a trop de beautés ;
Ou plutôt quelque peine où sa rigueur m'engage,
J'ai trop de passion pour souffrir qu'on l'outrage.
Oui, de votre mépris, confus, désespéré,
À votre enlèvement je m'étais préparé ;
J'en attendais l'issue, et j'avouerai, Madame ,
Que l'amour surmontait le respect dans mon âme :
Mais à vos premiers mots par un soudain retour,
Le respect, dans mon âme, a surmonté l'amour !
Cessez, cessez de craindre, ô merveille charmante,
L'ardeur de cet amour , un peu trop violente :
Votre cour dût-il être aussi dur qu'un rocher,
J'emploierai le respect tout seul pour le toucher ;
J'ai plus de passion que vous n'avez de haine,
Partout où je serai, vous serez souveraine ;
Et je tiendrai mon sort trop heureux et trop doux,
Non de donner des lois, mais d'en prendre de vous.
CLIMÈNE.
Je rendrais grâce au Duc d'un aveu si propice,
Si je pouvais flatter l'ennemi de Fabrice.
CLIMÈNE.
Encore que sa perte ait lieu de m'obliger,
Puisqu'elle vous afflige, elle doit m'affliger ;
Mais il court sur ce point ; un bruit qui m'épouvante
On dit que ce fantôme à vos yeux se présente.
CLIMÈNE.
Ce bruit n'a rien de faux ; il est vrai qu'en ces lieux
Fabrice, après sa mort s'est offert à mes yeux.
LE DUC.
Afin de dissiper les craintes dangereuses,
Que vous pourraient causer des visions fâcheuses ;
Quatre ou cinq de mes gens, et des mieux résolus
Auront ordre, à l'instant de ne vous quitter plus.
CLIMÈNE.
Ah ! Seigneur, ce n'est pas ce que je vous demande.
LE DUC.
C'est le moindre devoir qu'il faut que je vous rende !
Souffrez que l'on vous garde.
CLIMÈNE.
Il n'en est pas besoin.
LE DUC.
Votre repos me touche, et j'en dois prendre soin.
CLIMÈNE.
Au lieu de m'obliger votre dessein me blesse,
Mes désirs, de ce soin, dispensent votre Altesse.
LE DUC.
Ce serait vous trahir que suivre vos désirs,
La vision d'un mort accroît vos déplaisirs.
Permettez ?
CLIMÈNE.
Non, Seigneur, défendez qu'on me suive,
La vision m'en plaît, je crains qu'on ne m'en prive.
LE DUC.
Ce spectre troublera toujours votre raison.
Tant que vous resterez seule en cette maison.
CLIMÈNE.
S'il ne tient qu'à changer de logis pour vous plaire,
Dès ce même moment je veux vous satisfaire ;
Le logis de Carlos au mien se trouve joint.
LE DUC.
Si vous en faites choix, je n'y contredis point.
Sa mère est fort prudente, et ses conseils solides
Seront un grand secours pour vos esprits timides ;
Souffrez que je vous mène en son appartement.
CLIMÈNE.
Seigneur, cette prière est un commandement.
Bas.
De le suivre en ce lieu je ne puis me défendre,
Puisqu'aussi bien Fabrice a dessein de s'y rendre.
FABRICE.
De quoi donc si longtemps peut-elle discourir ?
Mais, Dieux ! Le Duc l'emmène ; allons la secourir.
LE DUC.
Ce fantôme est l'effet d'une triste pensée,
Tous les sens sont troublés, lorsque l'âme est blessée.
FABRICE.
Éteignons la lumière.
LE DUC.
Enfin, je vous promets
Qu'il n'est point de fantôme, et qu'il n'en fut jamais ;
Mais, que vois- je, ô prodige ! Ah, Ciel ! Quelle est ma peine.
FABRICE.
C'est Fabrice qui vient vous arracher Climène.
CLIMÈNE, à part.
Fabrice ! À quel danger es-tu venu t'offrir ?
FABRICE.
Sauve-toi, ma Climène, ou laisse-moi périr.
CLIMÈNE.
Mes jours sont en péril lorsque tu te hasardes ;
Je m'éloigne ; suis-moi.
LE DUC.
Que l'on s'avance, Gardes :
Je veux être éclairci ; ne m'abandonnez pas.
FABRICE.
Climène est éloignée ; allons suivre Tes pas. «
VALÈRE.
N'en doutez point, Seigneur, c'est l'ombre de Fabrice.
LE DUC.
N'importe ; il faut encor que je m'en éclaircisse.
SCÈNE IV. Carlos, Valère, Le Duc, suite.
CARLOS, sortant de la mine.
Secourons notre ami ; ce bruit me fait juger
Que ses jours, en ces lieux, courent quelque danger.
VALÈRE.
D'un fantôme trompeur la prise est impossible,
Il est pris toutefois, et c'est un corps sensible.
LE DUC.
Ah ! Traître ! Ah ! Le plus grand de tous mes ennemis.
CARLOS.
Ah, Seigneur ! Quel forfait Carlos a-t-il commis ?
Vous n'avez jamais eu de sujet plus fidèle.
LE DUC.
Qu'entends-je ? C'est Carlos, la surprise est nouvelle ;
Tous mes raisonnements se trouvent ici vains,
Venez-vous d'enlever Climène de mes mains.
CARLOS.
Moi, Seigneur, nullement ; le bruit qu'on vient d'entendre,
Pour en savoir la cause, en ce lieu m'a dait rendre.
LE DUC.
Qui donc en ce jardin est venu m'arrêter ?
VALÈRE.
C'est l'ombre de Fabrice, en pouvez-vous douter ?
Nous en pouvons tous rendre un fort sûr témoignage,
Nous avons bien connu sa voix et son visage.
LE DUC.
Je les ai remarqués aussi distinctement.
CARLOS.
De Fabrice, Seigneur, c'est l'Ombre assurément.
LE DUC.
Ce prodige me laisse en une étrange peine,
À quitter ce logis j'avais porté Climène,
Et jusqu'en sa maison j'allais l'accompagner,
Quand ce spectre est venu, qui l'a sait éloigner.
CARLOS.
Ainsi que vous, Seigneur, ce succès m'épouvante.
LE DUC.
Carlos, il saut trouver cette beauté charmante.
Et pour sa sûreté, la conduire chez toi.
Cherche de ce coté : vous autres, suivez-moi.
CARLOS.
Ah, Ciel ! Tout est perdu ; la fourbe est avérée,
Si Fabrice est trouvé, sa perte est assurée ;
Mais si, malgré la nuit, je ne m'abuse pas,
J'aperçois qu'une femme adresse ici ses pas.
SCÈNE V. Carlos, Climène.
CLIMÈNE.
Fabrice, est-ce toi...
CARLOS.
Non...
CLIMÈNE.
Ah ! Ma peine est extrême.
CARLOS.
Si ce n'est lui, du moins, c'est un autre lui-même.
C'est Carlos...
CLIMÈNE.
Ah, Seigneur ! Quel malheur est le mien.
CARLOS.
J'ai su votre disgrâce, et n'en ignore rien,
J'ai tout appris du Duc, qui, brûlant de colère
Vous cherche avec un soin qui n'est pas ordinaire.
CLIMÈNE.
Fabrice est en ces lieux ; s'il allait le trouver.
Il serait impossible après de le sauver :
Carlos, si vous l'aimez, détournez ses disgrâces,
Pour rejoindre le Duc, marchez dessus ses traces,
Afin de l'éloigner, il le faut avertir,
Que de ce lieu fatal je suis prête à sortir ;
Et qu'enfin j'ai promis ici de vous attendre,
Four en votre logis avecque vous me rendre.
CARLOS.
J'y cours : vous, essayez d'avertir votre amant ;
Et, surtout, rendez-vous en ce lieu promptement.
CLIMÈNE.
La fortune pour moi n'est pas assez propice,
Pour souffrir qu'à présent je rencontre Fabrice,
Avecque trop d'ardeur son courroux me poursuit
Pour m'accorder ce bien : toutefois, j'ois du bruit :
Possible que l'amour, favorable à mes flammes,
Guide ici mon amant ; mais quoi, ce sont deux femmes,
Elles m'ont aperçue, ou je m'abuse fort,
Allons chercher Fabrice, et fuyons leur abord.
SCÈNE VI. Jacinte, Isabelle.
JACINTE.
C'est Climène ; approchez avec toute assurance,
Et souffrez qu'au logis je rentre en diligence,
Ma conduite et mes soins ici sont superflus.
ISABELLE.
Demeure : elle s'éloigne, et je ne la vois plus,
Marchons dessus ses pas, et prenons cette route.
JACINTE, à part.
Dieu si j'allais trouver l'esprit que je redoute.
ISABELLE.
Tu sais tous ces détours, et tu m'y peux guider ;
Passe devant...
JACINTE.
Quoi moi ? Dieu m'en veuille garder,
Je sais bien mon devoir, quoique fille grossière,
Madame, c'est à vous de passer la première :
À part.
Ah ! Si l'esprit venait punir ma trahison.
ISABELLE.
Mais tu trembles...
JACINTE.
Hélas ! Ce n'est pas sans raison.
ISABELLE.
Demeure donc ; sans toi je vais suivre Climène.
JACINTE, bas.
Elle me laisse seule : ah ma perte est certaine.
Haut.
Madame, où courez-vous ?
ISABELLE.
N'arrête point mes pas.
JACINTE.
Vous dussiez-vous fâcher, vous ne la suivrez pas.
ISABELLE.
Ton importunité, sans mentir est extrême :
Pourquoi m'arrêtes-tu ?
JACINTE.
Parce que je vous aime,
Vous seriez en péril, si vous alliez plus loin,
Votre salut m'est cher, et j'en veux prendre soin.
ISABELLE.
Laisse-moi...
JACINTE.
Non ; sachez une chose incroyable,
Il revient en ces lieux un esprit effroyable.
ISABELLE.
Est-ce un esprit follet...
JACINTE.
Non ; il n'est point plaisant.
C'est plutôt un esprit malin et malfaisant,
ISABELLE.
Qui te l'a dit...
JACINTE.
Mes yeux, Madame; et je vous jure
Que je l'ai vu vingt fois sous diverse figure ;
Tantôt en forme d'homme, et puis en loup-garou
Et chaque fois tout prêt de me tordre le cou.
ISABELLE.
Climène donc ici n'est pas en assurance.
JACINTE.
Je ne sais ; maïs je crois qu'ils ont fait connaissance,
Ils s'accordent fort bien. Mais je l'avais bien dit,
En forme de géant voici venir l'esprit.
SCÈNE VII. Fabrice, Jacinte, Isabelle.
FABRICE.
C'est Jacinte, et Climène est sans doute avec elle.
JACINTE.
Elle approche, ah fuyons, sa rencontre est mortelle.
ISABELLE.
C'est à moi qu'il s'arrête : ô Ciel ! Que j'ai d'effroi !
FABRICE.
Climène, c'est Fabrice ; arrête ; écoute-moi.
ISABELLE, bas.
Parlons bas ; c'est mon frère : ah, Dieu ! Quelle surprise.
Feignons, pour découvrir quelle est son entreprise.
FABRICE.
Le Duc, à qui mes soins viennent de t'arracher.
Sans doute, en ce moment, s'emploie à te chercher ;
Ne perdons point de temps pour fuir sa violence,
Au logis de Carlos passons en diligence :
De plus, je crains ma soeur, car chez mon père au soir,
Elle me témoigna qu'elle viendrait te voir ;
S'il faut qu'elle me voie, au même instant mon père.
Qui me croit déjà loin, apprendra le contraire,
Ce n'est pas que ma soeur soit fine au dernier point,
Elle est fort innocente, et ne me nuira point ;
Mais elle a le défaut de ne pouvoir rien taire.
ISABELLE.
Vous m'obligez beaucoup ; continuez, mon frère.
FABRICE.
C'est ma soeur Isabelle ? Ah quel est mon malheur.
ISABELLE.
Poursuivez donc.
FABRICE.
Hélas ! J'en ai trop dit, ma soeur
Excuse d'un amant la faiblesse et les craintes,
Si ton cour ressentait de pareilles atteintes,
Tu saurais que le Dieu qui préside aux amours,
Est un enfant timide, et qui tremble toujours.
ISABELLE.
Des maximes d'amour je suis fort ignorante,
Et, pour les bien savoir, je suis sort innocente.
Quant à votre séjour que j'apprends à regret,
Ce secret su de moi n'en est pas moins secret :
Je veux en vous montrant que je sais bien me taire
Être meilleure soeur, que vous n'êtes bon frère.
FABRICE.
C'est avoir pour moi des sentiments trop doux.
ISABELLE.
J'entends quelqu'un marcher, mon frère éloignez-vous.
FABRICE.
Je suivrai ton avis, sors de cette demeure,
Et t'en vas chez Carlos, je te suis tout-à-l'heure.
SCÈNE VIII. Le Duc, Carlos, Isabelle , Suite.
CARLOS.
Vous voyez en ce lieu Climène qui m'attend.
LE DUC.
Conduis-la, c'est assez, je sortirai content.
CARLOS, à Isabelle.
Madame, c'est Carlos, suivez mes pas sans crainte ;
Parlez bas.
ISABELLE, à part.
C'est Carlos ; suivons-le sans contrainte.
LE DUC.
Gardes, suivez Climène, il faudra pour ce soir
Que mes yeux soient privés du bonheur de la voir,
Mon amour à la suivre en vain me sollicite ?
Différons à demain de lui rendre visite,
Le bien que j'en attends serait trop acheté,
S'il coûtait à Climène une importunité ?
Sortons, et flattons-nous encor de l'espérance,
Qu'on vient à bout de tout par la persévérance ;
Et qu'il n'est point de cour, soit de bronze ou de fer,
Que des feux bien ardent ne puissent échauffer.
SCÈNE IX. Climène, Fabrice, Le Duc.
CLIMÈNE.
Fabrice...
FABRICE.
Ma Climène...
LE DUC, à part.
Ah ciel ! Qu'ai-je entendu ?
Mon jugement ici se trouve confondu,
Climène suit Carlos, quel charme que j'ignore,
Avec l'ombre d'un mort la fait trouver encore.
CLIMÈNE.
Chacun est retiré ; nous sommes seuls enfin,
Et le Duc à présent n'est plus en ce jardin :
Je viens d'ouïr un bruit de gens qui se retirent,
Achevons le dessein où nos souhaits aspirent ;
Pressons notre retraite, et fuyons sans terreur
L'amour de ce tyran pour qui j'ai tant d'horreur.
LE DUC, à part.
Dans un gouffre d'erreurs ce prodige me plonge.
Est-ce une vérité ? Serait-ce point un songe ?
FABRICE.
Hâtons-nous ; mais je crains que dans l'obscurité,
Tu n'entres dans la mine avec difficulté.
CLIMÈNE.
Il faut de ce jardin sortir d'autre manière,
Il m'est aisé d'ouvrir la porte de derrière :
J'en ai pris dessus moi la clef secrètement,
Nous pouvons chez Carlos passer commodément,
Et dès qu'il fera jour je serai préparée
De suivre ta fortune en toute autre contrée.
FABRICE.
Par quels remerciements.
CLIMÈNE.
Hâtons-nous de sortir,
Ne perdons point de temps ; suis-moi sans répartir.
LE DUC.
Il n'en saut point douter ; la chose est très certaine,
Fabrice, vif ou mort, enlève encor Climène,
Ha je ne puis souffrir cet outrage à mes yeux,
Allons ; il faut nous perdre ou la sauver... Ah, Cieux.
Le Duc, courant pour secourir Climène, tombe dans la mine.
ACTE V
SCÈNE PREMIÈRE. Carlos, Isabelle, dans une salle du logis de Carlos.
CARLOS.
Que vois-je ? Qu'ai-je sait ? Ah rencontre cruelle,
Ne m'abusé-je point ? Est-ce vous Isabelle ?
ISABELLE.
Qu'entends-je ? Quoi ! Carlos, vous me méconnaissez !
Mes traits, en un instant, se sont-ils effacés ?
Non ; ils me sont restés ; et j'ai bien lieu de croire
Que, s'ils sont effacés, c'est de votre mémoire.
CARLOS.
Ce soupçon est injuste ; avec sincérité
Je vous veux, sur ce point, dire la vérité.
ISABELLE.
Quelle sincérité de vous peut-on attendre ?
CARLOS.
Ne me condamnez point avant que de m'entendre ;
J'avais fait un dessein qui n'a pas réussi,
Je prétendais conduire une autre femme ici ;
J'avouerai qu'à regret je vous vois en sa place,
Et que votre présence, en effet, m'embarrasse :
Mais...
ISABELLE.
Il suffit, ingrat, ton crime est confessé,
Et plus sincèrement que je n'aurais pensé.
CARLOS.
Souffrez que je m'explique.
ISABELLE.
Il n'est pas nécessaire :
Quelle explication pourrait être plus claire.
CARLOS.
Écoutez ce qui reste.
ISABELLE.
Ah ! Je n'écoute plus,
Tous tes déguisements sont ici superflus.
CARLOS.
Mais sachez...
ISABELLE.
le n'ai rien à savoir davantage,
Ne m'as-tu pas appris que ton âme est volage ;
Tu prétendais conduire une autre femme ici,
Tu veux que je le croie, et je le crois aussi.
CARLOS.
Je n'ai...
ISABELLE.
Tu n'as pour moi que froideur et qu'audace.
Avec regret, dis-tu, tu me vois en sa place,
Et d'une injuste ardeur ton esprit emporté.
Passe de l'inconstance à l'incivilité.
CARLOS.
Souffrez que je vous parle !
ISABELLE.
Hé ! Que me peux-tu dire ;
Que d'un plus digne objet tu reconnais l'empire,
Qu'à ses charmes ton cour en vain a résisté,
Et que pour t'acquérir j'ai trop peu de beauté.
CARLOS.
Ah ! Prenez moins de soin à vous tromper vous-même.
Et soyez moins injuste envers moi qui vous aime !
ISABELLE.
Je perdrai peu, perdant un cour comme le tien,
Il est fourbe, il est lâche, et je n'y prétends rien !
Adieu.
CARLOS.
Quoi, sans m'entendre ! Ah demeurez de grâce !
Arrêtez.
ISABELLE.
Ma présence en ce lieu t'embarrasse.
CARLOS.
C'est la vérité même.
ISABELLE.
Ingrat la vérité ?
CARLOS.
Vous ne sortirez point sans m'avoir écouté !
Souffrez que, sur ce point, j'explique ma pensée.
ISABELLE.
De tes discours encor je serais offensée.
CARLOS.
Ce que je vous dirai se peut vérifier.
ISABELLE.
Non, non, je te défends de te justifier.
CARLOS.
Pour la dernière fois, laissez-moi dire encore,
Que ce n'est que vous seule aujourd'hui que j'adore.
Que je suis tout à vous.
ISABELLE.
Hé bien ! Fais-moi donc voir
S'il me reste en ton âme encor quelque pouvoir.
CARLOS.
Madame, commandez, vous serez satisfaite.
ISABELLE.
Ne dis rien qui t'excuse, et souffre ma retraite ;
Je l'ordonne ? Obéis.
CARLOS.
Pour un parfait amant,
C'est crime d'obéir un peu trop promptement.
ISABELLE.
Non, non ; sur ton esprit si j'ai quelque puissance,
Contre encor ton respect par ton obéissance.
CARLOS.
L'amour, par des respects se sait mal exprimer !
Qui sait bien obéir ne sait pas bien aimer :
Ce conseil favorable, ô Beauté trop cruelle,
Fut donné pour Carlos.
ISABELLE.
Oui, pour Carlos fidèle ;
Maïs ce conseil fatal dont tu présumes tant,
Ne sut jamais donné pour Carlos inconstant.
CARLOS.
Quel est mon crime ?
ISABELLE.
Ingrat ! Je veux bien te l'apprendre j
J'ai toujours eu pour toi je ne sais quoi de tendre,
Et ce je ne sais quoi commençait en ce jour
D'être peu diffèrent de ce qu'on nomme amour :
J étais amante, enfin, alors que pour ma peine,
J'ai su que mon amour n'a produit que ta haine ;
Oui, tu n'es plus atteint quand je me sens toucher,
Je deviens importune à qui me devient cher ;
Lorsque mon feu paraît, ta flamme est consommée ;
Et commençant d'aimer, je cesse d'être aimée.
Aimée ! Ah qu'ai-je dit, j'apprends par les effets,
Que tu feignis toujours, et ne m'aimas jamais :
Ingrat pour t'excuser, que pourrais-tu répondre.
Un reproche si doux a droit de te confondre.
Pour te justifier tu ne t'empresses plus,
Tu reconnais ton crime, et tu restes confus.
CARLOS.
Cette confusion , qui dans mes yeux s'exprime,
Vient de votre injustice et non pas de mon crime.
ISABELLE.
Défends-toi ! Qu'ai-je dit que tu puisses nier ?
CARLOS.
Vous m'avez défendu de me justifier ;
De mes discours encor vous seriez offensée.
ISABELLE.
Non, non, parlez Carlos, ma colère est passée ;
Fussiez-tous inconstant, m'eussiez-vous pu trahir,
Je pourrai bien me plaindre, et non pas vous haïr ;
Et quelque changement que vous fassiez paraître,
Vous serez excusé, si vous le voulez être.
CARLOS.
Dessus vos belles mains, pour cet aveu charmant,
Que j'exprime ma joie et mon ressentiment.
Il lui baise la main.
SCÈNE II. Alphonse, Isabelle, Carlos.
ALPHONSE.
Que vois-je ?
CARLOS.
Vos soupçons me font un tort extrême.
ISABELLE.
Mes soupçons à Carlos sont savoir que je l'aime.
ALPHONSE.
Vous l'aimez !
ISABELLE, à part.
Dieu ! Qu'entends-je ?
CARLOS, à part.
Ô sort trop inhumain.
ISABELLE, à part.
Il saut me disposer à mourir de sa main :
Haut.
Mon père ?
ALPHONSE.
Indigne objet de ma juste colère,
Je suis ton ennemi, je ne suis plus ton père.
Quoi ! Perdant à la fois l'honneur et la raison,
Tu viens chercher Carlos de nuit en sa maison :
Et, méprisant le cloître où je t'ai destinée,
À de lâches amours tu t'es abandonnée !
ISABELLE.
De grâce, écoutez-moi, faites-vous cet effort,
Me refuserez-vous ?
ALPHONSE.
Oui, tout hormis la mort.
CARLOS.
Souffrez que l'équité par ma bouche s'exprime,
Je suis seul criminel si sa flamme est un crime.
Oui, si c'est un forfait, daignez vous souvenir,
Que c'est moi qui le cause, et qu'on doit seul punir :
Sans être plus humain, soyez plus équitable ;
Conservez l'innocente, et perdez le coupable.
ISABELLE.
Non ; soyez contre moi seulement animé,
Si c'est crime qu'aimer, c'est vertu qu'être aimé ;
Tout ce que pour Carlos je ressens de tendresse,
Témoigne son mérite, et fait voir ma faiblesse ;
Et si ma passion est digne du trépas,
Je suis seule coupable, et Carlos ne l'est pas.
ALPHONSE.
Tu mourras donc, perfide.
CARLOS.
Ah ! Perdez cette envie.
ALPHONSE.
Carlos avec l'honneur ôtez-moi donc la vie :
Pour assurer son crime, il le faut achever,
Et si l'on ne me perd, on ne la peut sauver :
Ma mort peut seulement empêcher son supplice,
Et s'il faut que je vive, il faut qu'elle périsse.
CARLOS.
Ne craignez rien de moi, j'ai du respect pour vous ;
Et puisque je n'ai pu calmer votre courroux,
Loin de combattre encor cette fureur cruelle,
Je ne vous presse plus que de perdre Isabelle.
ISABELLE.
Quoi ! Vous pressez ma perte ! Ah c'est dans ce moment
Que je puis du destin me plaindre justement :
Je me plains de vous voir, avec tant d'injustice,
Être plutôt mon juge ici que mon complice !
J'allais mourir, Carlos, et mon sort m'était doux ,
Quand je songeais qu'au moins j'allais mourir pour vous ;
Mais je ne croyais pas que dans cette aventure,
L'Amour dût me trahir ainsi que la Nature ;
Et qu'enfin je ne dusse entrer au monument ,
Que par le coup d'un père et l'arrêt d'un amant.
CARLOS.
Madame, je n'ai dit que ce que j'ai du dire !
Oui, Seigneur, puisqu'il faut que votre fille expire,
Et qu'en vain je viendrais empêcher son trépas ;
Contentez-vous ? Frappez, mais ne vous trompez pas ;
Portez ici vos coups, c'est-là qu'est Isabelle ;
C'est-là qu'elle est amante, et qu'elle est criminelle !
C'est-là, pour la punir, qu'il la faut attaquer ;
En me perçant le cour, on ne la peut manquer.
ISABELLE.
Ah ! Ne le croyez pas ! Tournez ici vos armes.
ALPHONSE, à part.
Prêt à verser mon sang, je sens couler mes larmes,
Ma colère s'éteint, et par un prompt effet.
Je reste seul vaincu du combat qu'ils ont fait.
Feignons encor pourtant.
Haut.
Carlos, votre artifice,
Pour bien peu de moments retarde son supplice ;
Mais sur ce qui m'amène ôtez-moi de souci,
Dites-moi si mon fils n'est point encore ici :
S'il retrouve en ces lieux sa mort n'est que trop sûre.
CARLOS.
Il n'est point en ces lieux, et je vous en assure.
ALPHONSE.
Je n'en veux point douter, puisque vous l'assurez.
SCÈNE III. Fabrice, Alphonse, Climène, Carlos, Isabelle.
FABRICE.
Enfin des mains du Duc nous sommes délivrés.
ALPHONSE.
Ô Ciel ! Est-il possible ?
FABRICE.
Ah ! Funeste rencontre.
ALPHONSE, à Carlos.
Quoi ! Fabrice à mes yeux encore, ici se montre :
J'avais à vos discours donné trop de crédit.
CARLOS.
Il n'était point ici lorsque je vous l'ai dit.
ALPHONSE.
Ô toi, fils aveuglé ! Par quelle ingratitude,
Fondes-tu tes plaisirs sur mon inquiétude ;
Dis-moi, tout sentiment est-il éteint en toi.
De la nature enfin méconnais-tu la loi ?
Qui te fait mépriser les volontés d'un père,
À qui tu sais, ingrat, que ta vie est si chère ;
Et pourquoi violant toutes sortes de droits,
Fais-tu si peu d'état du jour que tu me dois.
FABRICE.
Le soin de mon salut vous donne trop de peine,
J'aime le jour, Seigneur ; mais bien moins que Climène.
ALPHONSE.
Je t'avais commandé de quitter ce séjour.
FABRICE.
J'en avais un autre ordre.
ALPHONSE.
Et de qui ?
FABRICE.
De l'amour.
ALPHONSE.
L'Amour ne fait des lois, que pour qui veut en prendre,
Et la raison alors te le devait défendre.
FABRICE.
Ah, Seigneur, la raison m'avait abandonné,
Et pour pouvoir partir j'étais trop enchaîné.
ALPHONSE.
Peux-tu rester sans honte auprès d'une infidèle ?
FABRICE.
Ma Climène est constante autant comme elle est belle ;
D'un injuste soupçon j'avais l'esprit frappé,
Elle est prête à me suivre, et je suis détrompé.
ALPHONSE.
À te suivre.
CLIMÈNE.
Oui, Seigneur, je m'y suis engagée :
Si son sort est changé, je ne suis point changée.
ALPHONSE.
J'avais toujours douté, jusques à ce moment,
Qu'une femme jamais pût aimer constamment ;
Mais si dans votre amour quelque raison vous reste,
Hâtez-vous de sortir de ce pays funeste.
FABRICE.
Il n'est rien qui demain, puisse arrêter nos pas.
Seigneur, je vous le jure.
CARLOS.
Ami, n'en jurez pas.
FABRICE.
Si vous ne le croyez, votre erreur est extrême.
Qui peut nous arrêter ?
CARLOS.
C'est peut-être moi-même.
FABRICE.
Vous.
CARLOS.
Oui ; soyez instruit d'un triste événement.
Qui doit être à tous deux funeste également.
Sachez qu'une infortune, à nulle autre seconde,
Met Climène en ma garde, et veut que j'en réponde :
J'en ai l'ordre du Duc ; et, pour dernier malheur,
J'ai cru prendre Climène, et j'ai pris votre soeur.
ISABELLE.
Quoi ! C'est donc le sujet qui tantôt a fait naître
Le trouble que d'abord vous avez fait paraître.
CARLOS.
Avec peu de raison vous en avez douté ;
Mais connaissez ma peine en cette extrémité :
Si Climène s'enfuit il faudra qu'au lieu d'elle,
Aux passions du Duc j'abandonne Isabelle.
Je l'aime ; il n'est plus temps de vous rien déguiser,
Jugez en ce péril si je dois l'exposer !
FABRICE.
Notre malheur est grand.
ALPHONSE.
Bien moins qu'il ne nous semble ;
Pour ne craindre plus rien, partez tous quatre ensemble !
Le Duc à s'apaiser après sera réduit.
CARLOS.
Ce moyen est fort sûr, mais d'où provient ce bruit ?
SCÈNE IV. Célin, Alphonse, Carlos, Fabrice, Climène, Isabelle.
CÉLIN, à Carlos.
Plusieurs hommes, Seigneur, armés de hallebardes,
Désirent vous parler.
CARLOS.
C'est le Duc et ses Gardes ;
Leur dessein me surprend.
ALPHONSE.
Tout mon espoir se perd.
Carlos assurément mon dils est découvert.
CARLOS.
Nous serons, sur ce point, éclaircis tout-à-l'heure !
Que, sans clarté, Fabrice en cet endroit demeure ;
Et s'il se peut douter qu'on le vienne chercher,
Derrière ce faux mur il pourra se cacher !
Il leur montre un mur qu'on tourne sur un pivot de fer.
Vous voyez comme il tourne : avant sa mort mon père,
Craignant ses ennemis, en secret le fit faire,
Et je sais qu'il n'est point d'esprit assez adroit
Pour pouvoir découvrir Fabrice en cet endroit.
ALPHONSE.
Fais-toi ce peu d'effort pour assurer ta vie.
Ton père t'en conjure.
CLIMÈNE.
Et Climène t'en prie.
FABRICE.
J'obéis comme fils ; j'obéis comme amant.
CARLOS.
Cessons de discourir, et sortons promptement.
FABRICE, seul.
Ciel ! Faut-il que toujours et je craigne et j'espère,
Et qu'un amour si juste ait le sort si contraire ?
Le Duc aime ; on l'abhorre ; et je reconnais bien
Que je dois craindre tout de qui n'espère rien ;
Et que sur toute chose il est dangereux d'être
Concurrent de son Prince, et rival de son maître ;
Mais quoi ! N'entends-je pas ici quelqu'un un marcher,
Qui témoigne de moi se vouloir approcher ?
SCÈNE V. Le Duc, Fabrice.
LE DUC.
Après avoir passé par une étroite route ,
J'entre en un lieu plus grand, et ne sors point de doute.
Mon espoir se confond et n'a point de clartés
Qui puissent m'éclaircir dans ces obscurités !
Suis-je entre les mortels ? Suis-je au creux de quelqu'autre !
Suis-je encor sur la terre, ou suis-je dans son centre :
Fabrice massacré s'offre à mon souvenir ;
Le Ciel de son trépas me voudrait-il punir ?
J'ois du bruit, qui va là ?
FABRICE.
C'est Fabrice.
LE DUC.
Fabrice !
Quoi ! Son fantôme ici paraît pour mon supplice !
Et, pour être puni des maux qu'il a soufferts ;
Je suis donc descendu tout vivant aux Enfers !
FABRICE, à part.
J'entends la voix du Duc qui m'est assez connue ;
Je n'en douterai plus pour peu qu'il continue.
Haut.
Seigneur Duc, c'est donc vous ?
LE DUC.
Tu ne t'abuses pas.
Oui, Fabrice, je suis l'auteur de ton trépas :
Je ne te dirai rien pour me sauver la vie,
Tu peux l'ôter , sans crime à qui te l'a ravie.
Tout l'effroi qui me reste en un si triste sort,
Ne vient que de mon crime et non pas de ma mort ;
Et si dans ce moment quelque douleur m'accable,
Ce n'est pas de mourir, mais de mourir coupable.
FABRICE, à part.
Il me croit toujours mort ; profitons de l'erreur.
Haut.
Duc, vous avez sujet de craindre ma fureur,
Votre sort maintenant se trouve en ma puissance,
Rien ne vous peut soustraire au cours de ma vengeance,
Je puis sacrifier tout votre sang au mien ;
Mais vous êtes mon Prince, et je n'en ferai rien ;
J'abhorre l'injustice, et malgré ma colère,
Seigneur, j'aime encor mieux la souffrir que la faire.
LE DUC.
Plus ton respect pour moi se fait encore voir.
Plus ta perte est injuste, et plus mon crime est noir ;
Mon forfait en devient doublement condamnable ;
Et moins tu me punis, plus je suis punissable !
Mais si ton ombre encor prétend me respecter,
Qui t'oblige en tous lieux à me persécuter ?
D'où vient que tu me fais des faveurs imparfaites ?
Pourquoi me poursuis-tu ? Qu'est-ce que tu souhaites ?
FABRICE.
Puisque vous l'ordonnez, Seigneur, je vais parler.
Sachez, s'il m'est permis de ne vous rien celer,
Que vous ne sauriez voir là fin de cette peine,
Que vous n'ayez devant cessé d'aimer Climène.
LE DUC.
Cessé d'aimer Climène ! Ah ! C'est trop présumer ;
Je puis cesser de vivre, et non pas de l'aimer :
Pour rendre de tes voeux le succès infaillible,
Tu devais souhaiter une chose possible ;
Mais je t'abuserais, si je t'avais flatté
De l'espoir de cesser d'aimer cette beauté.
FABRICE.
C'est aimer en tyran, que d'aimer de la sorte.
LE DUC.
Oui, oui, j'aime en tyran, je le sais ; mais n'importe,
Sache aussi que l'Amour, qui me donne la loi,
Est encore un tyran plus aveugle que moi :
Pour me forcer d'aimer cette ingrate maîtresse,
Il n'a que trop de force, et moi trop de faiblesse ;
Et je puis seulement te donner quelque espoir.
Non de ne l'aimer plus, mais de ne la plus voir.
FABRICE.
Qui peut perdre l'objet, peut perdre aussi la flamme,
Ce que l'on ôte aux yeux, s'ôte aisément de l'âme :
De notre volonté l'amour tient son pouvoir,
Et pour cesser d'aimer, on n'a qu'à le vouloir :
Pour perdre tous vos feux, perdez toute espérance,
Et cédez pour jamais Climène à ma constance.
LE DUC.
Mais toi que prétends-tu, si je fais cet effort ?
FABRICE.
L'épouser.
LE DUC.
L'épouser ? Quoi ? Tu n'es donc pas mort.
FABRICE, à part.
Qu'ai-je dit ?
LE DUC.
Des vivants tu dois être du nombre,
Qui peut chérir un corps ne saurait être une ombre.
Parle, et crois que ta mort m'a coûté des regrets.
FABRICE, à part.
Il feint pour me connaître, et pour me perdre après.
LE DUC.
Il ne dit mot ? Cherchons ; mais de peur qu'il ne sorte,
Il est plus à propos de garder cette porte,
Pour savoir où je suis, il saut faire du bruit.
Holà, quelqu'un, à moi !
FABRICE.
Ciel ! Où suis-je réduit ?
Avant qu'ici l'on vienne avec de la lumière,
Avançons vers ce mur, et nous cachons derrière.
LE DUC.
Nous sortirons d'erreur ; voici de la clarté,
Qui pourra m'éclaircir de ce dont j'ai douté.
SCÈNE VI. Le Duc, Carlos, Alphonse, Valère, Climène, Isabelle, Gardes.
CLIMÈNE.
Voyons-nous pas le Duc.
LE DUC.
Vois-je encore ma maîtresse ?
VALÈRE.
Ah, Seigneur ! En tous lieux nous cherchons votre Altesse.
LE DUC.
Est-ce un enchantement ? Où suis-je ?
CARLOS.
En mon logis.
LE DUC.
Mais qu'est-il devenu ?
ALPHONSE.
Qui, Seigneur ?
LE DUC.
Votre fils.
ALPHONSE.
Mon fils n'est plus, Seigneur, votre Altesse s'abuse.
LE DUC.
Je viens de lui parler ; ne chercher point de ruse.
ALPHONSE.
Ce sont des visions.
LE DUC.
Ce sont des vérités:
Mais il n'a pu sortir ; cherchons de tous côtés.
ALPHONSE, en parlant à Carlos.
Ah ! Carlos, que je crains !...
CARLOS, s'adressant à Alphonse.
Ne craignez rien, vous dis-je.
VALÈRE.
Seigneur, je n'ai rien vu.
LE DUC.
Ciel ! Quel nouveau prodige ;
Jugez si j'ai raison de me croire enchanté :
Je sortais du jardin, où j'étais seul resté,
Croyant voir devant moi le spectre de Fabrice,
Lorsque je suis tombé dedans un précipice ;
Et passant par des lieux que je ne connais pas,
J'ai porté jusqu'ici mon erreur et mes pas ;
Où, pour combler d'effroi mon âme épouvantée,
Son ombre devant moi s'est encor présentée,
Qui m'a parlé longtemps, pour me persuader
De n'aimer plus Climène, et de la lui céder.
Ce discours, qui m'a mis en quel qu'inquiétude,
M'a donné, de son sort, beaucoup d'incertitude :
J'ai douté qu'il fut mort ; mais surpris et confus,
J'apprends de ce succès qu'il faut n'en douter plus !
Plût au Ciel que sa mort ne fût point véritable.
Je serais délivré du remords qui m'accable.
Je lui ferais justice, et perdant tous mes feux,
Je me rendrais content, en le rendant heureux.
ALPHONSE.
La générosité n'est pas grande de plaindre
L'ennemi qu'on opprime, et qui n'est plus à craindre :
Vous croyez mon fils mort, et le plaignez en vain,
Mais s'il était vivant, vous seriez moins humain.
LE DUC.
Je tiendrais ma parole, Alphonse : je vous jure !
Par le Ciel, par Climène, et toute la nature !
Que si, par un miracle, à l'instant en ces lieux,
Fabrice, encor vivant, paraissait à mes yeux,
À ses justes désirs bien loin d'être contraire,
Il obtiendrait de moi cette Beauté si chère.
SCÈNE DERNIÈRE. Fabrice, Le Duc, Alphonse, Carlos, Climène, Isabelle, Valère, Gardes.
FABRICE, sortant de derrière le faux mur.
Vous me voyez vivant, Prince trop généreux,
Tenez votre parole et me rendez heureux !
LE DUC.
Est-ce un fantôme ! Ô ciel !
ALPHONSE.
Disssipez votre crainte,
C'est Fabrice vivant, et sa mort n'est que feinte.
FABRICE.
J'attends de vos serments l'effet à vos genoux.
LE DUC.
Oui, je tiens ma parole, et Climène est à vous.
ALPHONSE.
Favorisez, Seigneur, de tout point ma famille,
Et souffrez que Carlos épouse aussi ma fille !
Approuvez avec moi leurs désirs innocents.
CARLOS.
Veuillez y consentir, Seigneur !
LE DUC.
Oui, j'y consens,
Je suis trompé, Carlos, et par votre artifice ;
Mais perdant mon amour, je perds mon injustice ;
Vous trahissez ma gloire à ne me pas trahir,
À qui commande mal, on doit mal obéir ;
Aux injustes desseins on peut justement nuire,
Suivez-moi cependant, et me venez instruire,
Par quel art mon rival, aussi constant qu'heureux,
A passé, dans ce jour, pour fantôme amoureux.
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